De quoi se plaignent les migrants coincés à Vintimille ? Ils ont un toit, et solide qui plus est. En béton épais, planté sur d’énormes piliers, qui fait « clong-clong » quand des voitures passent dessus. C’est un bout d’autoroute, dans un triste décor urbain d’entrée de ville, sous lequel ils dorment, vivent et rêvent, dans le lit presque à sec de la Roya qui vient ici finir son cours dans la Méditerranée. Comme il n’y a pas de mur, le vent s’engouffre en ce mardi matin. Tout près, le train qui part pour la France les nargue en sifflant. Ils l’empruntent parfois, pour souvent se faire refouler. Alors ils reviennent, dépités, comme Haidar, 30 ans. « J’attends pour m’échapper à nouveau », dit cet homme, soudanais comme la plupart de ces exilés, qui voit Vintimille comme une prison.
Ils étaient neuf partis à pied par la montagne en suivant la vallée de la Roya, qui devient française quand on la remonte, et où certains habitants les accueillent, comme on vous le raconte depuis deux mois dans cette série des Jours. Sept sont passés, pas lui. Quand il a été arrêté au bout de ces efforts, il avait la faim et la rage, « hungry and angry » : « J’avais pas mangé depuis deux jours. Je me suis direct endormi dans la voiture de l’armée. » Expulsé, il va recommencer. Depuis 2014 sur les routes, Haidar a traversé la Méditerranée « sur un bateau en bois avec 85 personnes » pour débarquer en juin à Lampedusa, l’île italienne proche de la Sicile. Il réussit à positiver : « On est toujours en vie, non ? » C’est un miraculé comme tous les migrants qui, arrivés ici, se pensaient à l’abri. Mais leur galère continue, avec cette frontière fermée par la France en 2015 et dont la traversée s’avère parfois mortelle.
Un petit groupe est attiré par notre conversation. Tous parlent arabe, un traduit en anglais. L’un raconte qu’il a essayé deux fois, l’autre six, par train ou à pied. Ils essayeront encore. Il y a des mineurs non accompagnés qui ont droit à une protection, mais en France comme en Italie, son application est aléatoire. D’autres mentent sur leur âge. L’un dit 16 ans, il en a 25. Tous s’esclaffent et se payent sa tête. « Mais si tu dis que tu as plus de 15 ans, les Italiens t’envoient à Taranto ! », explique-t-il. À Taranto, ou Tarente, ville des Pouilles distante de 1 100 km, se trouve un camp où des migrants de Vintimille sont régulièrement renvoyés par bus spéciaux, au bout de 17 heures de trajet.