Certes, les hommages rendus aux grands absents de la cérémonie des prix remis ce vendredi 10 janvier par l’association de lutte contre la corruption Anticor étaient émouvants : Patrick Balkany, Richard Ferrand, François Fillon, Carlos Ghosn ou encore Jean-Paul Delevoye, « petit ange du cumul des mandats parti trop tôt », selon l’humoriste de France Inter Guillaume Meurice, animateur
Amplement mérité, tant Aurore Gorius travaille infatigablement à révéler sur Les Jours les dessous opaques et peu reluisants de la décision publique. Son journalisme pugnace, obsessionnel et tenace est essentiel, vous allez dire que nous ne sommes pas très objectifs, mais nulle part ailleurs qu’aux Jours ce travail, aussi profond, ne pourrait être accompli : les obsessions, nos séries journalistiques, ont été inventées pour ça. Et pas question de graisser la patte à Anticor qui, depuis 2002, combat la corruption pour « rétablir l’éthique en politique ». C’est l’association qui a choisi toute seule de distinguer le travail accompli par Aurore Gorius aux Jours en lui remettant l’un des sept prix « éthiques » décernés lors de sa cérémonie pour 2020. Ce sont l’ensemble des enquêtes d’Aurore qu’Anticor a ainsi souhaité récompenser, de « saines obsessions » selon l’association. Les communicants, la première obsession d’Aurore Gorius qui a rejoint Les Jours un 2 janvier 2017 : il s’agissait alors d’enquêter derrière le rideau de la com politique durant la campagne présidentielle, ce qui fut fait en 22 épisodes où les jouristes ont pu tout savoir de personnages tels que les gourous de la com Stéphane Fouks ou Anne Méaux.
Sitôt le nouveau pouvoir en place, Aurore Gorius enchaînait avec Les conseillers, une enquête inédite dans les soupentes du pouvoir et de la fabrication de la décision politique. La série en est aujourd’hui à sa deuxième saison, au cœur du débat sur la réforme des retraites et Aurore continue de mettre en évidence un exécutif macroniste particulièrement en proie aux influences, ainsi qu’en témoigne l’un de ses derniers articles sur l’affaire BlackRock. Influence encore avec Les lobbyistes, une série qu’Aurore mène en parallèle et qui n’a jamais été aussi indispensable qu’aujourd’hui tant s’exercent ces sourdes pressions de toutes parts, que ce soit dans le secteur des pesticides, du nucléaire ou de l’industrie du médicament. Anticor a également tenu à distinguer les autres enquêtes d’Aurore Gorius, Intox au Levothyrox, sur l’incroyable dissimulation de ce scandale sanitaire, et la toute récente Avaler la pilule sur les big pharma… C’est la deuxième fois qu’Anticor récompense ainsi Les Jours après un prix « éthique » remis en 2019 à Camille Polloni pour sa série À la poursuite de l’argent sale.
À la tribune de cet amphithéâtre parisien où s’est tenue la cérémonie, Aurore Gorius, recevant le buste de Marianne qui symbolise le prix d’Anticor, a souligné l’importance cruciale du travail d’une presse indépendante et alerté quant aux « intimidations » diverses subies par les journalistes d’investigation. Elle a aussi remercié « les sources », petites mains souvent anonymes d’une démocratie plus transparente, qui « osent parler » pour dévoiler les scandales.
Outre un autre prix « éthique » remis à la journaliste d’investigation Stéphane Horel pour son livre également consacré aux lobbies, Lobbytomie, comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie (La Découverte, 2018), ce sont d’ailleurs des lanceurs d’alerte qu’Anticor a voulu remercier lors de sa cérémonie. Ainsi Denis Breteau, cadre à la SNCF qui a dénoncé des appels d’offres truqués et des malversations au sein de l’entreprise publique. Ainsi Maxime Renahy qui, travaillant dans la finance internationale, a dénoncé auprès de la DGSE les agissements coupables de multinationales. Il en a tiré un livre, Là où est l’argent (Les Arènes, 2019).
Un élu a reçu lui aussi une Marianne : le député Olivier Marleix pour son rôle dans la mise au jour de l’affaire Alstom, dont la branche énergie a été bradée à l’américain General Electric. Un travail mené par un élu de droite, ainsi qu’Olivier Marleix l’a lui-même souligné dans un sourire : « Il ne faut désespérer de rien, vous avez devant vous un député Les Républicains. » Enfin, Anticor a décerné un prix au syndicaliste de la CGT Daniel Bertone, qui lutte inlassablement contre la privatisation d’Aéroports de Paris et ses méfaits prévisibles à venir, et un autre à un homme de théâtre : Nicolas Lambert, qui a monté un projet baptisé « L’A-Démocratie », en trois pièces consacrées successivement à l’affaire Elf, au nucléaire et aux ventes d’armes. « En ce moment, a-t-il souligné en recevant sa Marianne, c’est plutôt marée basse pour la démocratie, d’ailleurs les crabes apparaissent. » Ah, et une chose encore : une fois qu’Aurore Gorius a reçu son prix, l’animateur de la soirée, Guillaume Meurice, a salué le travail des Jours et invité l’assistance à s’abonner. Si ce n’est pas encore fait, suivez le conseil de cet homme de goût.