L’an passé, appelé à la barre du procès d’Hocine Hamoudi, l’ex-compagnon et meurtrier de Sandra Helleputte, un capitaine de police avait eu cette formule à propos des violences conjugales : « Ça a vachement changé depuis 2015. Aujourd’hui, c’est pris au sérieux. On ne peut plus rien laisser passer. Même pour une simple claque, on met en garde à vue ! » La formule n’était pas heureuse, et le policier s’était d’ailleurs vertement fait reprendre (lire l’épisode 5 de la série Assassinées, « Malgré les plaintes, la mise à mort de Sandra Helleputte »), notamment par Blandine Lejeune, l’avocate des parties civiles. Elle lui avait fait remarquer que 2015, « ce n’était pas non plus la préhistoire ». Pas la préhistoire assurément, mais en matière de violences conjugales, ce n’était pas le même monde. À tel point qu’en débutant ses réquisitions l’avocat général avait eu ces mots pour les enfants de Sandra Helleputte, cette femme que la machine judiciaire n’avait pas su protéger : « On ne peut pas occulter ce qui s’est passé, ce qui ne s’est pas passé ou ce qui s’est mal passé, avant, après ou autour de ces faits. À ce stade, humblement, en conscience, je présente mes excuses. Qui sont celles de l’avocat général, mais aussi celles de l’homme. »
Pas sûr qu’en 2015 de telles paroles auraient été prononcées. Car de chaque côté de la barre, magistrats et avocats ont adapté leurs pratiques dans le domaine des violences intrafamiliales, et plus particulièrement conjugales. Sous les effets de l’explosion de ce contentieux, devenu l’un des plus massifs dans les tribunaux du pays (lire l’épisode 1, « Violences conjugales : la riposte »), mais aussi du changement radical de l’appréhension par l’opinion publique de ces violences, de plus en plus considérées comme inacceptables. « Il y a une prise en compte beaucoup plus sérieuse et importante, estime aujourd’hui Blandine Lejeune, contactée par Les Jours. Quasi systématiquement, les auteurs sont placés sous contrôle judiciaire et ont une interdiction de contact. » Du haut de ses trente-cinq ans de barreau, l’avocate lilloise décrit l’époque où ces violences étaient minimisées. « Dans les années 1990, il fallait au moins une interruption temporaire de travail de huit jours pour que l’affaire passe en correctionnelle, relate-t-elle. Et il fallait que la cliente ait les deux yeux au beurre noir pour obtenir un contrôle judiciaire. »
Au début de ma carrière, les coups et blessures sur sa femme n’étaient pas regardées comme des circonstances aggravantes. C’était banalisé, livré avec l’autorité conjugale.
François Drageon, pénaliste rochelais, a prêté serment en 1986.