Deux tours de primaire de droite, deux tours de primaire de gauche, deux tours de présidentielle et c’est un citoyen électoralement essoré qui, au soir du premier tour des législatives, s’est avachi dans son canapé pour suivre les résultats à la télé. Et encore, c’est à peine une moitié de citoyens que l’on a retrouvée, avec une participation qui s’est élevée à 48,6 %, contre 57 % en 2012. Le score le plus bas de la Ve République, Isabelle Roberts, qui signifie quoi, selon vous, pour les résultats de chaque parti ? Eh bien, Raphaël Garrigos, difficile encore de tirer le moindre enseignement de ce prem… Allons bon, voilà qu’on se prend soudain pour Ruth Elkrief, la vedette de BFMTV, et Bernard Sananès, le sondageologue de la chaîne info.
D’autant que Sananès fait très bien le boulot tout seul. À 18 h 40, ce dimanche, il balance de la punchline, s’interrogeant sur « une prime au sortant ou une déprime au sortant ». Il démarre fort. Thierry Arnaud, chef du service politique, ne pouvait se laisser manger ainsi l’analyse électorale sur le dos et il rétorque aussitôt avec un osé « autodégagisme », pour décrire le mouvement de ceux qui ne se représentent pas. Les gars sont en superforme, ça promet. La soirée sera longue, c’est qu’on a 577 circonscriptions à pourvoir et surtout une « vague » à mesurer, celle des députés issus de La République en marche qui viendront donner une majorité au nouveau président. Dont on a appris qu’elle était jaune, couleur du nouveau parti d’Emmanuel Macron, mais en vrai de toutes les couleurs, étant donné l’arc-en-ciel politique qui compose ladite vague. Et dont on vous parie que, ce soir, nos amis de la télévision vont la décliner en « vaguelette » (si c’est un four), en « tsunami » (si c’est un succès), voire en « raz-de-marée » (si c’est un gros tsunami).
Aux Jours, ce sont nos personnages que nous allons scruter ce soir avec de nouveaux épisodes de nos séries politiques : Prisca Thevenot qui, dans la saison 2 de La planète Marche, est un de ces « nouveaux visages » vendus et survendus par Emmanuel Macron. Jean-Luc Mélenchon et Patrick Mennucci, ou la baston de la 4e circonscription dans Les insoumis de Marseille. Et Les socialistes saison 2 depuis la fédération PS de Montpellier où le suspense devrait osciller entre super-rouste et mégarouste.
19 h 40 : l’instant fashion
Une soirée électorale à la télé, c’est avant tout une affaire de signes. Et les journalistes n’aiment rien tant que lire les résultats dans les attitudes d’un candidat en train de voter, dans le taux de remplissage de tel ou tel QG ou dans celui des sourires sur le visage des militants. Alors c’est sûr, les tenues des journalistes doivent avoir leur signification secrète. À l’exception d’un Christophe Barbier qui semble tout juste sorti d’un mariage moyen chic avec son costume gris brillant et sa cravate dorée, celle des hommes, hélas, est toujours identique, chemise blanche et limace sombre, les nuls. Chez les femmes, en revanche, il y a de la toilette : un énigmatique rouge vif pour Anne-Claire Coudray sur TF1 (la saignée que vont subir les socialistes ?), un truc bizarre tenant du maillot de bain pour Anna Cabana sur BFMTV (une manière de signifier l’abstention des citoyens plagistes ?), un osé perfecto jaune poussin pour Apolline de Malherbe (la couleur d’En marche ? Une impression renforcée par le chignon total Brigitte Macron qu’elle arbore) et une dominante blanche chez Léa Salamé (France 2), Ruth Elkrief (BFMTV) et Audrey Pulvar (CNews), dont on notera qu’elle fait son intéressante avec une jupe noire. Un blanc assurément éloquent de l’absolue neutralité journalistique de celles qui le portent. Bien sûr.
20 heures : attention à la vague
SplaaaAAAAAAAOUUUUUTTCCHHHHH. Ceci est le bruit de la vague qui vient de déferler sur l’Assemblée nationale, et elle est jaune, chez TF1, ou violette chez ces petits punks de France 2 et BFMTV. Bref, c’est La République en marche qui est en tête, et de loin. France 2 évalue la vague dans les 32 % des suffrages, tout comme TF1 et BFMTV, à quelques quarts de poil près. Le suivant est le même d’une chaîne à l’autre : Les Républicains (21 %). Après, c’est plus flou : France 2 attribue 11 % à La France insoumise, tout comme BFMTV, tandis que TF1 voit le mouvement mélenchoniste à 14,2 %. Le FN oscille, lui, de 14 % (France 2) à 13,1 % (BFMTV) en passant par 13,5 % (TF1). Et voilà. Ah dites donc, on a failli oublier les socialistes ! Il faut dire que là, le flou est total : généreuse, TF1 octroie quelque 13 % au PS, France 2 lui fait friser les 10 % tandis que BFMTV l’enterre à 9 %. Eh bien, aux Jours, nous sommes en mesure de vous le dire tout net : la France est de droite.
21 h 06 : battu, battu et battu
Jean Glavany ? Battu. Aurélie Filippetti ? Battue. Matthias Fekl ? Battu. Isabelle Attard ? Battue. La litanie des candidats de l’ex-majorité socialiste éjectés sitôt le premier tour risque de se poursuivre toute la soirée, déroulant dans les bandeaux, en bas des écrans des chaînes info. Même l’inoxydable Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, est en train de se couvrir de rouille à vitesse grand V et parle d’un scrutin « marqué par le recul sans précédent de la gauche dans son ensemble et notamment du PS ». « Notamment », oui : en gros, il ne pourrait rester qu’une vingtaine d’élus socialistes sur les 292 députés que comptait le groupe parlementaire jusqu’alors.
Du côté de La France insoumise, au score pourtant décevant, Jean-Luc Mélenchon ne fait pas le ronchonchon comme pour la présidentielle. Et fait mine d’y croire : « La très forte abstention montre qu’il n’y a pas de majorité dans ce pays pour détruire le code du travail ni réduire les libertés publiques. » Pour l’heure, rien ne filtre encore de son sort marseillais, sinon l’élimination de son rival socialiste Patrick Mennucci, annoncée par l’intéressé en personne.
21 h 41 : et à droite, au fait ?
Édouard Philippe qui, malgré son nom de spécimen de carte bleue ou d’avenue, est Premier ministre, a dit un truc mais on ne se rappelle pas trop, sinon qu’il a beaucoup remercié les militaires et les forces de l’ordre. François Baroin aussi a dit un truc, mais pareil aucun souvenir sinon qu’il faisait toujours cette tête de celui qui a mangé un truc pas frais, le même air qu’il affiche depuis des mois. Alors que bon, avec un score autour de 20 %, soit entre 80 et 100 députés et tout de même un bon petit paquet de ministres dont le gars de la carte bleue, on trouve qu’ils ne s’en tirent pas si mal, Les Républicains, lestés qu’ils sont du boulet Fillon. Et Marine Le Pen ? Mais si, vous savez, cette personne qui était face à Emmanuel Macron au deuxième tour de la présidentielle… Heu, en gros, celle qui réunit près de 45 % des suffrages à Hénin-Beaumont appelle à la mobilisation. Futé. Qu’en dire ? Que dire ? Nous vous avions promis que, sur Les Jours, il n’y aurait jamais aucun éditorial. Et pourtant, il nous faut vous retranscrire cette analyse émise à 21 h 31 au sein de la rédaction : « Bon, on se mettrait pas Les Bronzés ? »
22 h 06 : l’instant culture, l’instant courgettes
Est-il possible de se cultiver lors d’une soirée électorale à la télévision ? Nous sommes en mesure de vous répondre que oui. Par exemple avec la socialiste Aurélie Filippetti qui, commentant sa défait en Moselle, cite du Rudyard Kipling. Ou encore avec un autre socialiste – enfin, façon de parler le concernant –, Jean-Marie Le Guen. Si, si, nous sommes cultivés avec Le Guen. Sur BFMTV, interrogé sur un tweet sarcastique de François Lamy, battu et remerciant François Hollande et Manuel Valls du travail accompli, Le Guen a balayé d’un dédaigneux « C’est du zucchini ball. » On a cherché, ce sont des boulettes de courgettes. Voilà, on aura appris des trucs ce soir. Et pas que la recette des boulettes de courgettes : Jean-Christophe Cambadélis avait bien raison de tirer la tronche, il est battu dès le premier tour dans le XIXe arrondissement de Paris. Parmi les personnages des Jours, certains ne passent pas une meilleure soirée, tel le socialiste héraultais Sébastien Denaja, viré dès le premier tour.
22 h 37 : au boulot
Permettez-nous de citer Jean-François Copé. Ce cher Jeff, jamais en reste d’un cliché, l’a dit sur BFMTV : « Il y a un moment où ça va être les douze coups de minuit, où le carrosse va se transformer en citrouille. » Eh bien laissez-nous vous dire qu’on est d’accord avec Jeff et qu’on est un peu inquiets : que vont devenir tous ces députés éliminés dès le premier tour ? Vont-ils s’inscrire à Pôle emploi ? Et pour faire quoi ? Jean-Christophe Cambadélis a été homme politique toute sa vie, c’est pas avec une thèse de doctorat sur le bonapartisme gaulliste qu’il va trouver du boulot. Et Benoît Hamon ? Ce pauvre Ben, éliminé dès le premier tour, n’a comme expérience professionnelle qu’un passage chez Ipsos. Jean Glavany peut, à 68 ans, faire valoir ses droits à la retraite, mais de quelle profession ? Mystère. Aurélie Filippetti a été prof de lettres pendant un an, va falloir s’y remettre. Élisabeth Guigou ? Vaguement conseillère. Razzy Hammadi ? Obscur « dirigeant d’une société de conseil ». Autant vous dire, les gars, que c’est pas la peine d’envoyer vos CV aux Jours.
23 h 07 : Mélenchon dégage Mennucci
À lire dès maintenant, « À Marseille, Mélenchon dégage Mennucci », l’épisode 6 de l’obsession Les insoumis de Marseille, par Olivier Bertrand sur la baston de la 4e circonscription qui voit Mélenchon arriver en tête.
0 h 10 : dans la vague et sous la vague
À lire dès maintenant, « Portée par la vague », l’épisode 6 de l’obsession La planète Marche saison 2 sur Prisca Thevenot, qualifiée pour le deuxième tour en Seine Saint-Denis. Ainsi que l’épisode 4 des Socialistes saison 2 au titre éloquent : « “C’est comment qu’on rend sa carte du PS ?” »
0 h 29 : vague violette et Guaino vert
Nous avons démarré cet épisode en direct par un point fashion et c’est ainsi que nous nous devons de le conclure, avec ce qui nous aura taraudé tout au long de la soirée : qui a décidé de la couleur d’En marche ? Y a-t-il eu des séances de brainstorming coloriste au sein des chaînes ? Ou bien y a-t-il eu un symposium secret entre les dirigeants de chacune des télés pour se mettre d’accord ? Alors qu’avant la soirée, c’est le jaune qui semblait ressortir, ce qui était d’ailleurs raccord avec ce qu’on a pu voir lors des meetings de l’alors candidat Macron où pullulaient les T-shirts poussin, ce dimanche soir, tout a changé. À l’exception de TF1, qui a colorisé En marche d’un ocre jaune, toutes ont choisi le violet. France 2, BFMTV, CNews, du violet partout, Dans chaque infographie, du violet, la vague en violet, l’Assemblée nationale parcourue d’un drap violet, violet, violet, violet. Hum mais attendez : violet, c’est la couleur qu’on obtient en mélangeant du rose et du bleu. Ah ouais, d’accord. Mais le violet, que voulez-vous, ça ne va pas à tout le monde. Ainsi c’est un Henri Guaino totalement rubicond qui, sur les coups de minuit, accoudé au rade de BFMTV, s’est emporté sur les électeurs de sa circonscription : « L’électorat qui a voté dans le VIe arrondissement, dans le Ve et dans une partie du VIIe est à mes yeux à vomir. À vomir, vous m’entendez bien. » Sur le plateau, on tente de l’interrompre, mais il est complètement parti, Henri. « Maintenant je suis libre, finie l’hypocrisie ! », lance-t-il en complet freestyle et coiffé d’un entonnoir invisible dont nous sommes en mesure de vous révéler ceci : il n’est pas violet.