C : Le 71e festival de Cannes s’est cloturé le 20 mai, et l’un des films français en compétition était Plaire, Aimer et Courir Vite, en salles depuis le 10 mai. S’il a bouleversé la Croisette, il n’a cependant rien remporté. C’est le nouveau long-métrage de Christophe Honoré, connu pour Les Chansons d’Amour, Dans Paris ou plus récemment, une adaptation des Malheurs de Sophie. Morgane Giuliani s’est ruée dans les salles obscures pour voir ce drame teinté de comédie.
M : Pierre Deladonchamps, remarqué dans l’Inconnu du Lac, joue le rôle de Jacques, écrivain pompeux et assez irascible, vivant avec son fils un jour sur 2. Vincent Lacoste, popularisé par des comédies loufoques comme Les Beaux Gosses, interprète Arthur, un jeune étudiant rennais sûr de lui, en pleine découverte de sa sexualité. Enfin, Denys Poladylès incarne Mathieu, journaliste, voisin et meilleur ami de Jacques. Ce dernier rencontre Arthur lors d’un passage à Rennes. C’est le coup de foudre, mais leur idylle semble impossible, car Jacques est atteint du virus du SIDA.
EXTRAIT 1
C : C’est la première fois que Christophe Honoré aborde le thème du SIDA.
M : Le réalisateur est surtout adulé pour certains de ses premiers films, dont Les Chansons d’Amour, qui explorent l’amour et ses tourments. Pour Plaire, Aimer et Courir Vite, il s’est inspiré de son vécu, celui du Paris gay au début des années 90, qu’il a découvert en quittant Rennes à l’âge de 25 ans. Le film est hanté par la pertes de proches ou d’idoles à cause du SIDA, mais aussi, par la perte de figures qui sont pour lui des références artistiques absolues. À un moment, le personnage de Vincent Lacoste va même se recueillir sur la tombe de François Truffaut, l’une de ses idoles. Il y a une triple narration dans ce film : celle de Jacques et Arthur, le récit d’une époque où l’épidémie du SIDA était à son paroxysme, et la jeunesse de Christophe Honoré. Le réalisateur est même allé jusqu’à filmer dans sa propre chambre d’étudiant à Rennes, et recréer des lieux de rencontre qui n’existaient plus.
C : L’année dernière, c’est d’ailleurs 120 Battements Par Minute, racontant l’histoire d’Act Up, association d’aide aux malades du SIDA, qui avait remporté la Palme, avant de rafler plusieurs César, dont celui du Meilleur Film. Ces 2 longs-métrages se passent au début des années 90. Comment expliquer que le cinéma français se mette à parler plus de cette époque difficile.
M : Déjà, Christophe Honoré n’aime pas qu’on mette les 2 films sur le même plan, et il a raison. Plaire, Aimer et Courir Vite relève de l’intime, ce n’est pas un film militant, même s’il donne le pouls d’une époque encore proche qui a traumatisé des générations. Sur ce point, Honoré reconnaît qu’on parle beaucoup plus de cette période qu’avant. Il l’explique par 2 facteurs dans les différentes interviews qu’il accorde : d’abord, il y a eu une période d’attente par respect des malades et des victimes, où il ne fallait pas raconter leur vécu à leur place. Il suppose aussi simplement que les cinéastes ou écrivains qui étaient jeunes à l’époque ont à présent une cinquantaine d’années, et ont envie de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. De son côté, Christophe Honoré a dit, dans les Inrocks qu’il ressent désormais un devoir, en tant que cinéaste et metteur en scène gay, de raconter plus d’histoires d’amour homosexuelles.
EXTRAIT 2
C : Ce projet a d’ailleurs été compliqué à mener. Christophe Honoré a dû changer d’acteur en dernière minute.
M : C’était Louis Garrel, l’un de ses acteurs fétiches, qui devait jouer le rôle principal. Mais il s’est désisté peu de temps avant le tournage. Depuis, les deux hommes ne se parlent plus et Honoré n’aime pas s’épancher sur ce qui s’est passé, si ce n’est qu’il l’a très mal vécu. Le réalisateur a dû trouver un nouvel acteur et repenser l’intrigue autour de lui. Son choix s’est porté sur Pierre Deladonchamps, magnétique dans le rôle de Jacques, un homme aussi libre qu’agaçant. Un peu trop agaçant d’ailleurs, du moins au début du film, où il enchaîne les tournures de phrases compliquées, peu digestes pour le cinéma.
C : Plaire, Aimer et Courir Vite brille par le duo complémentaire formé par Pierre Deladonchamps et Vincent Lacoste.
M : L’intrigue prend un nouveau souffle une fois que les 2 personnages principaux se rencontrent. On quitte le côté ampoulé de Jacques pour la jeunesse joviale d’Arthur, incarné à merveille par Vincent Lacoste. C’est là que la mécanique du film se met en place. Christophe Honoré nous emmène dans certains lieux de rencontres sauvages pour hommes gays de l’époque, comme un parking public. Sans un mot, la scène est chorégraphiée comme une danse, et c’est troublant de beauté. Tout se joue dans le regard, le déplacement subtil des corps, les caresses. Pas étonnant pour Christophe Honoré, qui travaille aussi au théâtre et est connu pour son besoin de millimétrer le jeu de ses acteurs. Jacques et Arthur se tournent littéralement autour, et c’est presque un ballet qui se joue dans les rues sombres de Nantes. Les deux personnages jouent au chat et à la souris, à coup de taquineries ou de correspondance poétique.
C : L’ombre de la maladie plâne sur cette histoire naissante.
M : Jacques se sait condamné par le SIDA, et repousse Arthur plusieurs fois. D’autant plus que la maladie frappe durement autour de lui. De son côté, Arthur ne voit pas le SIDA comme un frein à leur relation.
C : Avec sa candeur teintée d’insolence, le personnage d’Arthur illumine le film.
M : Il dévoile un pragmatisme étonnant, et un enthousiasme à toute épreuve. Lui qui paraît si léger et immature au début gère les situations une par une avec bonne humeur. C’est à lui qu’on doit les moments les plus drôles du film, dont un long monologue sur la sexualité. Il faut aussi mentionner Denis Podalydès, excellent en meilleur ami de Jacques, parfois excédé par son toupet, mais toujours présent. Car c’est bien Jacques le centre du film. Ce grand séducteur collectionne les amants. Il est comme une planète autour de laquelle les gens gravitent comme des satellites. D’ailleurs, Plaire, Aimer et Courir Vite est saturé par la couleur bleue. Christophe Honoré n’a pas encore eu l’occasion d’expliquer pourquoi. Pierre Deladonchamps ayant les yeux bleus, peut-être voulait-il accorder son environnement à son regard, ou y réaliser une métaphore du SIDA qui contamine tout.
C : Va-ton voir Plaire, Aimer et Courir Vite ?
M : Oui, car c’est une histoire d’amour comme on en voit encore trop peu : où la société se mêle de l’intime, et qui offre une manière de raconter une époque dure, qui commence seulement à être abordée dans le cinéma français avec toute l’exposition qu’elle mérite. Trois bémols : le film tire sur la longueur - il dure un peu plus de 2 heures -, il met un peu trop de temps à s’installer, et au début, il faut s’accrocher pour supporter l’attitude irrévérencieuse de Jacques. C’est finalement l’amour que lui porte Arthur qui le rend plus humain et sympathique au spectateur.
C : Plaire, Aimer et Courir Vite est en salles depuis le 10 mai, merci beaucoup Morgane Giuliani et à très vite !
« Plaire, aimer et courir vite » : la plus belle histoire d’amour de Christophe Honoré
« Plaire, aimer et courir vite », c’est le nom du nouveau long-métrage de Christophe Honoré que vous connaissez peut-être pour « Les Chansons d’amour » ou « Dans Paris ». S’il n’a pas remporté la palme avec cette histoire d’amour homosexuelle, il a en tout cas remporté l’adhésion de Morgane Giuliani, qui vient nous en parler.
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