Corentin : La plateforme Soundcloud n’a-t-elle pas raté le coche d’être la plateforme la plus indépendante, rentable et collective qu’il soit ? Angèle Chatelier le pense, en tout cas. Soundcloud aurait pu devenir le Deezer de la musique indépendante mais ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça.
Angèle : Soundcloud, pour beaucoup, c’est avant tout une plateforme pour écouter des mixes, remixes et désormais, des podcasts. Chacun peut aujourd’hui y mettre le contenu qu’il souhaite. En somme, c’est la plateforme idéale pour les compositeurs : un moyen gratuit d’héberger sa musique, de la faire connaître et pour les aficionados de découvertes musicales, c’est l’aubaine. Mais pourquoi Soundcloud s’est-il autant planté ?
C : C’était pourtant bien parti
A : Le designer sonore Alex Ljung et l’artiste Eric Wahlforss, deux suédois mais installés à Berlin créaient Soundcloud en 2007. Peu ou prou au même moment que la création que Deezer en France, pour vous resituer. Soundcloud permet de partager sa musique sur Internet.
Et oui, vous avez raison, ce procédé fait grandement penser à ce qui existait déjà à l’époque : Myspace. Sauf que les créateurs de Soundcloud sont filous : ils permettent d’embedder, c’est à dire d’intégrer ses morceaux publiés sur Soundcloud sur d’autres plateformes comme Facebook et Twitter. La différence ne se situe qu’ici.
D’ailleurs, trois ans après la création de Soundcloud, Twitter qui souhaite investir dans la musique en ligne y voit une aubaine. L’entreprise propose alors de racheter aux deux créateurs Soundcloud pour un montant de 700 millions de dollars. Ça ne se fera jamais.
Soundcloud est alors la plateforme phare de la musique indépendante. Des milliers de créateurs partagent leurs contenus et se font un nom. De nombreux rappeurs, notamment, ont été révélés par la plateforme : Kaytranada ou encore Chance the Rapper, pour ne citer qu’eux (EXTRAIT 1)
C : Sauf que, qui dit upload de musique en ligne, dit piratage, forcément
A : Et c’est ce qui a tué Soundcloud au départ. Si l’idée initiale était de partager son propre contenu, beaucoup en ont profité pour partager le contenu des autres
C : Les labels n’étaient pas contents, forcément
A : Une rumeur a tourné en 2015 comme quoi Soundcloud allait faire l’objet d’une action en justice pour violation massive des droits d’auteurs. Ce n’est pas arrivé mais c’est pour cette raison que Grooveshark, une autre plateforme d’écoute de musique en ligne avait dû mettre la clé sous la porte. En quelques semaines, Soundcloud parvient à faire des accords avec les principales maisons de disques. Là où le contrat est différent que celui avec Deezer ou Spotify, c’est que la majorité du catalogue présent sur Soundcloud est du mixes et du remixes. La Performing Rights Society, l’équivalent de la Sacem aux Royaume Uni avait aussi porté plainte contre la plateforme. On ne connait pas les détails de l’accord qu’ils ont passés mais apparemment, ils ont trouvé un terrain d’entente.
C : Comme Deezer ou Spotify, Soundcloud n’a pas pu échapper au modèle économique du payant, même si la plateforme souhaitait avant tout mettre en avant des artistes indépendants et/ou émergents.
A : En 2016, Soundcloud met en place son service Soundcloud Go. A l’époque, l’entreprise est valorisée à plus de 700 millions de dollars et contient plus de 100 millions de titres. A l’instar de ses principaux concurrents, l’offre payante de Soundcloud est proposé à 9,99 euros par mois avec un mois d’essai gratuit. Elle permet de ne pas avoir de publicité et, en tant que créateur, d’avoir accès à de nombreuses fonctionnalités. Aussi, il vous faut un compte premium pour écouter les artistes qui sont signés dans tous les labels qui ont passés un partenariat avec Soundcloud.
C : Sauf que contrairement à Deezer et Spotify, Soundcloud n’a pas un gros catalogue d’artistes connus
A : Bin non, parce que ce n’était pas son ambition de départ. Résultat, en juillet 2017, Soundcloud annonce la suppression de 40% de ses postes, soit 173 salariés.
C : Alors, quel a été le problème ? La concurrence trop rude ? Le modèle économique trop faible ?
A : Selon moi, c’est un problème de modèle tout court. A qui Soundcloud s’adresse ? Aux passionnés de découvertes musicales et de mixtapes. Signer un accord avec les principaux labels pour permettre de diffuser leurs artistes, donc de devoir rémunérer les ayants-droits, c’est un manque à gagner considérable. Soundcloud aurait pu se réinventer autrement : proposer, toujours, un modèle d’abonnement payant pour pouvoir écouter les titres, mais surtout s’allier aux créateurs. Finalement, ce devrait être à eux de payer pour que leur musique soit mise en ligne, non ?
Ensuite, pour que la plateforme fonctionne, il lui faut des artistes qui en parle. Pourquoi un DJ Snake, extrêmement connu et écouté sur les plateformes de streaming, ne pourrait pas passer un partenariat avec Soundcloud et publier un mix inédit sur la plateforme, et sur Soundcloud exclusivement ? On en trouve des milliers, déjà. Et inédits. Isaac Delusion remixé par le beatmaker Fakear, par exemple. Ici, pour le titre « Dragons » (EXTRAIT 2)
Soundcloud est avant tout un immense moyen de mettre en ligne ses remixes inédits, pour les artistes de se faire connaitre, et pour les amateurs de découvertes musicales d’avoir un champ des possibles.
C : Sauf qu’ils ont eu du mal à faire face aux gros bras de l’industrie musicale…
A : Oui, mais ils ont encore la possibilité de se réinventer. Soundcloud est par exemple devenu majeure dans l’industrie du podcast. Ils sont nombreux, aujourd’hui, à en publier sur la plateforme (bah oui, c’est gratuit et facile, que demander de mieux ?).
Sauf que Deezer et Spotify s’y mettent aussi. Impossible aujourd’hui sur Spotify de proposer son propre contenu de podcast aujourd’hui, mais cela est facile sur Deezer. Les deux plateformes proposent même leurs propres contenus originaux. Alors finalement, ce qui sauvera Soundcloud, c’est son image : la musique indépendante et la découverte. Autant qu’ils restent sur ce créneau pas du tout exploité mais qui, malheureusement, n’intéresse peut -être pas la majeure partie de la population.
C : Merci Angèle Chatelier pour ces précisions sur l’histoire de Soundcloud. En espérant que la plateforme n’aura pas le même destin que MySpace ou Grooveshark. A très vite !
Visionnaire puis délaissée : le temps n’est pas au beau fixe pour SoundCloud
Le marché du streaming musical est sans pitié. C’est ce qu’a constaté de nombreuses fois la plateforme SoundCloud, pourtant arrivée particulièrement tôt dans la bataille. Entre un modèle économique bancal et une recherche permanente d’un positionnement convaincant, découvrons cette plateforme unique avec Angèle Chatelier.
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