Corentin : Un des blockbusters vidéoludiques attendus cette année, c’est le nouvel opus d’Assassin’s Creed, Assassin’s Creed Odyssey, qui se déroule en Grèce. Et comme les jeux de la licence jouent beaucoup avec l’histoire réelle, ça t’a donné des idées de chronique, Thomas.
Thomas : Salut Corentin. Tu as raison, mais c’est aussi parce que je suis un inconditionnel de cette série de jeux vidéo.
Corentin : OK, donc comme ça, à brûle pourpoint, quel est ton top 5 des jeux Assassin’s Creed ?
Thomas : Euh… quoi ? Euh… Alors… Brotherhood, Origins, Black Flag, Syndicate, et… ALLEZ ! Assassin’s Creed Unity. Oui, j’ose apprécier Assassin’s Creed Unity. Voilà, c’est dit, j’avais ça sur la conscience…
Corentin : Je savais que ça te pesait sur la conscience. Mais trêve de bla bla. On sait que le prochain opus se déroule dans la Grèce antique, mais du coup, à quel moment ?
Thomas : Voilà une question qu’elle est légitime ! Oui, parce que la Grèce, ou plutôt le monde grec, c’est une histoire de plusieurs milliers d’années. Assassin’s Creed Odyssey choisit ce que certains historiens appellent aujourd’hui le siècle de Périclès, à savoir le Ve siècle avant JC.
Corentin : Alors j’ai plusieurs questions, mais d’abord : tu parles de monde grec plutôt que de Grèce. Pourquoi ?
Thomas : Simplement parce que la notion même de Grèce n’existe pas. Les territoires occupés par des populations grecques n’ont pas d’unité politique. On trouve des cités-Etats, des micro-monarchies, des oligarchies… Alors certes, les habitants partagent des croyances, une langue et certaines valeurs culturelles. Mais n’allez pas confondre un Corinthien et un Athénien à cette époque, car pour eux c’est clair, ils ne sont pas du tout pareil.
En outre, les populations grecques ne sont pas présentent que sur le territoire de l’actuelle Grèce. On en trouve sur les côtes de l’Asie Mineure (qui correspond à l’actuelle Turquie), et dans le sud de l’Italie.
Corentin : Ah, OK, merci pour ces précisions. Et donc, du coup, le siècle de Périclès, à quoi ça correspond ?
Thomas : C’est un terme pour désigner l’âge d’or que traverse Athènes, entre 479 et 404 avant JC. Soit juste après la fin des guerres médiques, lorsque les différentes nations grecques repoussent les tentatives d’invasion perses. Vous connaissez forcément l’épisode des Thermopyles, où on raconte que 300 spartiates se sont opposés à tout un empire.
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Et donc ce siècle de Périclès va jusqu’à la défaite d’Athènes lors des guerres du Péloponnèse. Concrètement, le jeu commence à partir de 431 avant JC, soit le tout début de ces guerres. Le personnage que l’on va incarner aura donc évidemment un rôle à jouer dans ce conflit.
Corentin : Attends un peu. La guerre contre les Perses, je vois bien, notamment grâce au film 300 que tu as cité. Mais du coup, les Etats grecs ne se sont pas unifiés pour être plus forts ? Il y a eu une autre guerre ?
Thomas : Il n’y a pas eu d’union, non. D’une part parce que la guerre contre la Perse n’était pas la guerre de toutes les nations grecques contre l’empire perse : certaines cités grecques avaient rejoint les rangs de Xerxès. Et d’autre part, parce qu’après cette victoire, chaque cité a repris ses habitudes. La coalition entre Sparte et Athènes n’était qu’une coalition de circonstances.
Du coup, après guerre, profitant de sa réussite, Athènes crée la Ligue de Délos, du nom d’une île située au coeur de la mer Egée. Au sein de cette ligue, Athènes invite les cités qui le désirent à verser un tribut. En échange, la cité-Etat s’engage à défendre les nations de cette ligue. Athènes se constitue ainsi un trésor très important, qui permettra entre autre la construction des monuments du Parthénon, ainsi que la mise en place d’une flotte de guerre très importante.
Cette puissance militaire et financière d’Athènes inquiète Sparte, à la tête de la ligue du Péloponnèse, du nom de la région dans laquelle se trouve Sparte. Cette ligue est essentiellement militaire, dirigée par Sparte, mais beaucoup moins formelle que celle de Délos.
Corentin : Donc si je comprends bien, on a deux puissances, Athènes et Sparte, qui après avoir combattu côte à côte contre les Perses, sont retournées à leurs affaires après. On dirait les relations entre Etats-Unis et URSS après 1945.
Thomas : Il y a de ça, dans la mesure où chaque puissance veut le plus d’influence possible. Bref, l’historien Thucydide, à qui l’on doit L’Histoire de la Guerre du Péloponnèse, et qui est également l’inventeur de l’histoire critique telle qu’on la pratique en Occident, voit l’hégémonie athénienne naissante et les craintes d’isolement de Sparte comme les raisons profondes de ce conflit qui devait éclater.
Et comme toutes les guerres avec des raisons profondes, elle éclate à cause d’événements isolés. En l’occurrence : l’interventionnisme athénien dans plusieurs conflits locaux qui a priori ne concernaient pas la cité. La meilleure marine du monde grec s’apprête à affronter la meilleure armée de terre du monde grec. Dans un premier temps, les Spartiates vont multiplier les raids et escarmouches dans la région d’Athènes, alors qu’Athènes envoie ses navires dans différentes régions de la Ligue du Péloponnèse. Ces différentes attaques, et de nombreuses exactions contre les civils, ont lieu jusqu’en 421, année durant laquelle est signée une paix de 50 ans est signée.
Corentin : Et laisse-moi deviner… Elle ne va pas durer.
Thomas : On ne te la fait pas. Non, elle ne va pas durer. C’est surtout une trêve qui va permettre à chacun de se trouver de nouveaux alliés, et à Sparte de se constituer une flotte digne de ce nom grâce à un financement perse. La guerre recommence en 418. Plusieurs échecs athéniens en Sicile puis dans les Dardanelles noue le sort des Athéniens. En 404, la cité-Etat accepte le sort que lui réserve Sparte : destruction des fortifications, évacuation des territoires occupés et d’une grande partie de la flotte. C’est la fin du siècle d’or athénien.
Corentin : Et du coup, on doit être triste ?
Thomas : Ca dépend ce que tu cherches. Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif abreuvé par les artistes de la Renaissance et ceux qui leur ont suivi, on voit Athènes comme le phare de la civilisation occidentale, avec la philosophie, les arts, la démocratie… En regard, Sparte, avec sa culture militariste et sa quasi absence de vestiges antiques, renvoie à des concepts moins plaisants.
Mais il ne faut pas oublier qu’Athènes est une nation aristocrate, très largement esclavagiste et misogyne. C’est une cité-Etat qui n’hésite pas à condamner ses grands hommes à l’exil ou la mort s’ils ont des idées qui ne lui conviennent pas. C’est résumé dans cet extrait d’Il était une fois l’homme :
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Extravagants, tout de même, ces Athéniens. Socrate, l’esprit universel, condamné à mort. Et les autres, pratiquement tous les hommes marquants du siècle, ostracisés : condamnés à l’exil.
On a idéalisé Athènes pour de bonnes raisons, mais on l’a trop idéalisée, oubliant tous les aspects sombres de cette démocratie. Et il faut réapprendre l’histoire spartiate, pour mieux comprendre cette culture aux structures politiques et sociales très complexes.
Corentin : Merci Thomas, nous voilà armés pour appréhender un peu mieux Assassin’s Creed Odyssey, qui sorti le 5 octobre. A bientôt !
Thomas : A bientôt !
L’histoire derrière la fiction : les guerres du Péloponnèse
Vous serez certainement nombreux, si ce n’est pas déjà le cas, à arpenter les îles arides de la Grèce antique dans « Assassin’s Creed Odyssey ». Thomas Hajdukowicz est un fan de la licence mais également d’histoire, et il nous raconte pour l’occasion les guerres du Péloponnèse.
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