Corentin : A l’heure où nous enregistrons cette chronique, on ne sait toujours pas si le Royaume-Uni quittera effectivement l’Union Européenne le 29 mars 2019, ni sous quelles conditions. Les discussion qui ont lieu entre Londres et Bruxelles, et au sein même du parlement britannique, depuis novembre 2017, soulignent en tout cas une chose : les relations entre le Royaume-Uni et les différentes incarnations de l’Union Européennes n’ont jamais été simples. Pas vrai Thomas ?
Thomas : Un peu mon neveu ! C’est un bazar sans nom depuis le début.
Corentin : Ah, ben puisque tu parles de début, quand est-ce que ça commence, ces histoires ?
Thomas : Pour parler de ça, il faut d’abord parler du processus de la construction européenne. En fait, l’idée d’une union politique des différents pays d’Europe existe depuis le XVe siècle, époque à partir de laquelle les Etats-nations commencent à s’affirmer. Mais la plupart de ces projets sont farfelus ou beaucoup trop en avance sur leur temps. Je pense notamment à la proposition faite par le moine français Emeric Crucé au début du XVIIe siècle, dans son ouvrage - illisible au demeurant - Le Nouveau Cynée. Témoin des désastres causés par les guerres de religion, il préconise l’établissement d’une assemblée ne prenant pas seulement en compte les pays d’Europe, mais aussi le Grand Turc, le Roi de Perse, l’Empereur de Chine...
Corentin : C’est l’ONU avant l’heure !
Thomas : Complètement ! L’idée de Crucé est d’établir une paix perpétuelle, où les différends seraient discutés en assemblée plutôt que sur les champs de bataille. Mais personne ne lit son texte à l’époque (et personne n’était prêt pour ça). Donc il faut attendre le désastre de la Première Guerre mondiale pour qu’un projet européen plus solide émerge. Dans l’ombre de la Société des Nations qui se met en place au sortir de la guerre, des diplomates français et allemands rêvent d’une entente entre les deux pays, en dépit des très lourdes sanctions imposées à l’Allemagne. En 1925, les Accords de Locarno sont signés par l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, la Pologne, le Royaume-Uni et la Tchécoslovaquie. Ils visent à assurer la sécurité collective de l’Europe.
Corentin : Ah, ça ressemble déjà un peu à une Union Européenne, ça, avec un objectif commun de paix. Mais pourquoi ça n’a pas tenu ?
Thomas : Pour plusieurs raisons : le représentant de l’Italie, par exemple, dès cette époque, c’est Benito Mussolini, qui n’est clairement pas le plus démocrate des hommes que cette terre ait portée, et qui voit là une opportunité d’association. Et évidemment, il y a la crise de 1929 qui va précipiter les économies des différents pays impliqués dans le rouge, ouvrant la porte aux populismes, d’où émergera entre autres le nazisme.
Corentin : Du coup, il faut attendre l’après 1945 pour relancer la machine européenne ?
Thomas : Eh oui. D’une part parce qu’il faut une entité supranationale pour distribuer l’argent du Plan Marshall de reconstruction de l’Europe. D’autre part parce que les Européens en ont vraiment marre de la guerre, et que la paix entre ses Etats-membres, garantie par une communauté d’objectifs pourrait être une bonne idée.
Les premières communautés européennes naissent en 1951, avec l’institution de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Cette première étape d’unité économique se concrétise en 1957, avec la signature des Traités de Rome, comme présenté ici dans le journal des actualités françaises du 3 avril de cette même année :
[01 - traités de rome.mp3]
A Rome, le palais du Capitole dessiné par Michelange, et qui domine la ville éternelle, a été le cadre majestueux de la rencontre des Six venus mettre le point final aux négociations instituant le Marché Commun et l’Euratom.
Corentin : Elle est bien sympa ton archive, mais qui sont les Six dont parle le présentateur ?
Thomas : Alors, par ordre alphabétique, il y a l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas.
Corentin : Et donc pas de Royaume-Uni ?
Thomas : Pas de Royaume-Uni.
Corentin : Mais pourquoi ? Ils n’avaient pas besoin de charbon et d’acier, les britanniques ?
Thomas : Oh, si ! Et d’ailleurs, lors des pourparlers précédents la signature des différents traités, le Royaume-Uni a été invité. Mais plusieurs raisons expliquent la réticence des britanniques à rejoindre ces premières communautés européennes.
Déjà, les gouvernements de Attlee, Premier ministre britannique de 1945 à 1951, craignaient une perte significative de souveraineté de son pays au profit d’une communauté technocrate. Ensuite, le Royaume-Uni est déjà à la tête d’une communauté, le Commonwealth. Enfin, le pays nourrissait le projet un peu perso de mise en place d’un système économique mondial avec la livre sterling comme monnaie de référence. Bref, les gouvernements d’Attlee puis de Churchill ont rapidement insinué un sentiment de méfiance vis-à-vis de la construction européenne dans l’esprit des britanniques.
Corentin : Mais à partir de quel moment est-ce que le Royaume-Uni intègre la construction européenne ? Parce que pour qu’il y ait Brexit, ça veut bien dire qu’à un moment ils sont rentrés, quand même !
Thomas : Dans les années 1960, les différents gouvernements britanniques se rendent compte que le marché commun a quand même du bon et demande à deux reprises d’en faire partie. A chaque fois la demande est renvoyée, surtout à cause de De Gaulle, alors président de la France, qui voyait là une manoeuvre opportuniste de la part de nos voisins d’Outre-Manche.
Corentin : C’est quand même gonflé de la part de De Gaulle, parce que dans mon souvenir, ça n’était pas le plus fervent des européens…
Thomas : Oui, lui était davantage pour une union économique que politique, la souveraineté, tout ça. Mais passons. Quand De Gaulle démissionne, le Royaume-Uni retente sa chance et passe le test. En 1972, le Traité de Bruxelles est signé, autorisant l’entrée dans la Communauté du Royaume-Uni, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège. Les trois premiers pays font ratifier le pays par référendum et deviennent membres officiels le 1er janvier 1973. De son côté, la Norvège échoue ce processus de ratification, et reste en dehors.
Corentin : Et à partir de là, tout n’a été qu’un long fleuve tranquille, entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, j’imagine…
Thomas : Oh oui ! A tel point que dès 1975, soit 2 ans à peine après être rentré dans le game, le nouveau gouvernement travailliste organise un référendum demandant au peuple britannique s’il veut vraiment faire partie de la communauté européenne. Le oui l’emporte à plus de 67%, mais c’est quand même symptomatique d’une méfiance des politiques britanniques vis-à-vis des décisions de Bruxelles.
L’histoire de la construction européenne va donc être émaillée de clash avec le Royaume-Uni. Le pays ne rejoint pas le Système Monétaire Européen qui donnera naissance bien des années plus tard à l’euro, par exemple. Et une certaine Première Ministre, bien qu’initialement en faveur de la construction européenne, s’est attirée les foudres de Bruxelles en 1984 :
[02 - thatcher.mp3]
Nous ne demandons pas la petite monnaie que la communauté européenne est prête à donner à la Grande-Bretagne. Ce que nous demandons, c’est qu’une très importante part de l’argent que nous avons donné nous soit reversé.
Corentin : Vous aurez peut-être reconnus Margaret Thatcher. Pourquoi est-ce qu’elle réclame de l’argent à l’Europe ici ?
Thomas : Elle demande de l’argent parce qu’elle estime que la politique agricole commune ne porte pas ses fruits. Ce qu’il faut savoir, c’est que dès son entrée dans la communauté, le Royaume-Uni a fait comprendre à ses petits camarades qu’il serait très protecteur de sa propre agriculture, refusant dès le départ de jouer collectif. Cette idée se poursuit avec le refus du pays d’intégrer l’espace Schenghen en 1985, puis par les différentes clauses spécifiques au Royaume-Uni comprises dans les traités européens depuis la signature du Traité de Maastricht en 1992. A partir de ce moment, l’euroscepticisme britannique ne cesse de monter. Et on arrive en 2017, avec la campagne en faveur du Brexit, menée par le parti conservateur, poussé dans sa frange droitière par le parti d’extrême-droite UKIP.
Corentin : Oui, on se souvient de cette campagne très agressive qui, rappelons-le, a fait une victime, Jo Cox, parlementaire anglaise pro-européenne, assassinée par un brexiteur. On a bien compris que ça n’a jamais vraiment été le grand amour entre le Royaume-Uni et l’UE, mais est-ce qu’il y a quand même eu du positif dans cette histoire ?
Thomas : Oui, et pas qu’un peu ! L’Union Européenne est le principal partenaire commercial du Royaume-Uni, loin devant les Etats-Unis ou les pays du Commonwealth. La libre circulation au sein de l’UE a permis une résolution progressive des conflits en Irlande du Nord. D’ailleurs, le rétablissement d’une frontière dure entre les deux Irlande est une des pires conséquences du Brexit, puisqu’elle risque de ranimer une animosité oubliée grâce à la porosité de la frontière irlandaise. Et c’est sans compter les milliers d’histoires personnelles qu’a permis l’intégration du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, des échanges universitaires facilités grâce à Erasmus aux opportunités d’emploi, en passant par les rencontres humaines, tout simplement.
Corentin : Merci pour ces éclaircissements sur les relations tumultueuses entre l’UE et le Royaume-Uni. On espère qu’une solution plus souple que le tant redouté hard Brexit soit trouvée. Et je te dis à très bientôt, Thomas !
Thomas : A bientôt !
Royaume-Uni et construction européenne : une histoire de désamour
À l’orée d’un Brexit qui, s’il n’est pas reporté, risque de se faire sans accord, Thomas Hajdukowicz nous parle de l’histoire des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Elles remontent, mais vous le verrez, elles ont toujours été assez tumultueuses.
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