Les « otome games », quand les jeux vidéo réinventent les feuilletons romantiques

COCO : aujourd’hui Lucie tu vas nous parler de jeux vidéo …
Lucie : Absolument ! Aujourd’hui je vais vous présenter les “Otome Games”. Il s’agit d’une catégorie de jeux vidéo encore peu connue en Occident mais qui se développe rapidement. Il s’agit de jeux textuels et romantiques, généralement pour mobile, qui sont dédiés aux femmes.
COCO : Les Otome Games sont d’origine japonaises.
L : Otome signifie jeunes femmes en japonais. Ils mettent en scène un personnage féminin qui évolue dans une histoire romantique. Leur but est de tisser des liens amoureux avec un ou plusieurs protagonistes. L’héroïne est parfois invisible et l’on peut choisir son nom, pour que la joueuse puisse se projeter dans l’histoire. On progresse dans le scénario en faisant défiler du texte, un peu comme on tournerait les pages d’un livre, et en faisant des choix.
Vous ne comprenez pas tout ? Je vais vous donner un exemple. Voici ce à quoi ressemblerait le début d’un Otome Game consacré aux Croissants. (je m’éclairçis la gorge)
[CHRISTINA PERRI - A THOUSAND YEARS]
Notre héroïne s’appelle Lucie. Elle est une jeune recrue prometteuse dans le milieu sans pitié du journalisme. Un jour, elle reçoit un message mystérieux dans sa boîte mail. Stanislas Signoud lui propose de rejoindre sa start-up, les Croissants. C’est une chance inespérée ! Stan est une rock-star dans le milieu des développeurs. En plus, il paraît qu’il est célibataire … Mais quand elle assiste à son premier entretien, Lucie perd toutes ses illusions. Le rédacteur-en-chef des Croissants, Corentin Benoit-Gonin, est un homme dur et cruel. Lucie n’est pourtant pas indifférent à son charme … Que lui réserve son destin ?
COCO : je suis très mal à l’aise
L : Eh bien moi aussi ! Mais vous aurez compris le principe : les Otome Games sont, en gros, le pendant numérique de ce qu’on appelle la “new romance”. Des livres comme Twilight ou Fifty Shades of Grey, qui nous racontent des histoires d’amour au final assez classiques, mais avec beaucoup d’intensité. Si vous lisez des mangas, vous comprendrez aussi que les Otome Games sont l’inverse du principe des histoires de type “harem”. Plutôt que d’avoir un héros entouré de femmes séduisantes, c’est une jeune fille qui doit séduire plein de garçons.
COCO : Et le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas un genre extrêmement courant. Et pourtant, certains tentent leur chance chez nous.
L : Il existe énormément d’otome games au Japon. Mais en France, plusieurs entreprises se sont elles aussi positionnées sur ce créneau avec succès, en adaptant le principe au public occidental. C’est par exemple le cas de 1492 Studio. Ce studio français a été racheté début mars par Ubisoft, le géant français des jeux vidéo. Il développe la série de jeux mobile “Is it love”, qui raconte les péripéties romantiques d’héroïnes dans différents univers. Avec des vampires, en entreprise, dans un groupe de rock … Une autre société française développe un otome game très connu. Elle s’appelle Beemoov, elle est originaire de Nantes et son jeu s’appelle Amour Sucré. Il a déjà été utilisé par plus de 85 millions de personnes dans le monde.
[PUBLICITE AMOUR SUCRE]
COCO : ça a l’air un peu gnan gnan non ?
L : Oui et non ! Il y a des otome games pour tous les publics. Les utilisatrices d’«Amour Sucré», sont assez jeunes. Le contenu est donc assez chaste : on ne peut pas espérer faire plus qu’embrasser un garçon. Ca ressemble à une série romantique au lycée comme on en voit beaucoup à la TV. En revanche, les jeux de 1492 Studio sont, eux, plus «croustillants». Ses utilisatrices ont, en moyenne, entre 20 et 35 ans. On parle franchement de cul. Même s’il n’y a pas vraiment de scènes de sexe.
COCO : et ça marche ?
L : Oui ! Déjà, parce que le marché des jeux vidéo pour femmes est important. En France, elles représentent désormais 47% des joueurs. Ensuite, ce sont des jeux très malin dans leur conception. Tout est fait pour frustrer l’utilisatrice. Les jeux Otome appartiennent à la catégorie des applications dites «freemium». On peut les utiliser gratuitement, mais elles proposent des options payantes. Dans le cas des Otome Games, on peut dépenser une petite somme pour continuer à avancer dans l’histoire. Si l’on ne souhaite pas sortir son porte-monnaie, le scénario se bloque au bout d’un certain nombre d’actions. Ce modèle est couplé à celui, plus classique, de publicités en ligne. Au final, peu de joueuses mettent la main au portefeuille. Mais ça suffit à engranger suffisamment de revenus ; surtout qu’un jeu Otome coûte très peu cher à produire.
COCO : du coup tu es devenue fan d’Otome Games ?
L  : Franchement ? Pas vraiment. Les “otome games”, même s’ils peuvent faire rire, sont finalement assez banals. Leurs codes ressemblent beaucoup à ceux des romans Harlequin, des telenovelas ou des films romantiques. Les clichés aussi sont les mêmes. Les héroïnes sont jeunes et jolies. Parfois, elles ont du répondant. Mais c’est toujours la romance qui l’emporte. Les hommes correspondent aussi à des archétypes bien définis: le dragueur, le mystérieux, le calme, etc. Il est généralement impossible de se mettre en couple entre femmes. Et enfin, certaines situations présentées comme romantiques (un homme qui plaque l’héroïne contre un mur ou qui la suit dans la rue) frôlent parfois l’agression. Bref, je n’attend qu’une chose : de jouer à un Otome Games féministe.
[CHRISTINA PERRI - A THOUSAND YEARS]
COCO : Après cette chronique convaincante, Corentin avait tout compris à ce sujet compliqué des Otome Games. De plus, Lucie avait l’air particulièrement passionnée en lisant son script. Serait-ce… de l’amour... Pour le journalisme ? Certainement.
Merci Lucie ! Et à très vite !