Corentin : Aujourd’hui, on reçoit Geoffroy Husson de Tom’s Guide qui vient nous parler de jeux vidéo compétitifs. Comment ça va Geoffroy ?
Geoffroy : Mal, Corentin, plutôt mal.
C : Qu’est-ce qui se passe, raconte-nous tout…
G : J’en ai marre de perdre quand je joue en ligne. Mais ça, encore, je l’accepte. Surtout, surtout, j’en ai marre des joueurs et joueuses contre qui je perds et qui en rajoutent à mort, qui te rappellent que tu as perdu, qui te traitent de loser, de noob, et qui me font encore plus perdre mes moyens et ma concentration.
C : Ah oui, c’est ce qu’on appelle le BM, c’est ça ? Le bad manner…
G : C’est ça oui, ou le « taunt », la provocation. Et vraiment, le BM me fout en rogne parce que je suis hyper mauvais perdant. En fait c’est exactement de ça dont on va parler aujourd’hui, parce que j’ai besoin d’exorciser un peu.
[INSERT Angry german kid]
Le BM en fait, c’est une tendance qu’ont pas mal de joueurs en ligne qui vont essayer de te rabaisser dans une partie alors que tu es déjà hyper mal. Ca peut se caractériser de plusieurs façons. L’une des plus connues, notamment dans les FPS, c’est le « tea bagging », ou le sachet de thé. Tu viens de te faire tuer, du coup le joueur qui t’a éliminé s’approche du cadavre de ton avatar et s’accroupit puis se redresse pour se foutre de toi. Ca peut aussi être le fait de dire « GG EZ », c’est-à-dire « bien joué, mais c’était simple pour nous » une fois la partie terminée, ou d’insulter l’adversaire de vive voix pendant une LAN, souvent avec des termes homophobes, misogynes ou racistes d’ailleurs.
C : Je vois, du coup quand on a un tempérament de mauvais joueur comme toi, ça peut faire rager encore plus.
G : Oui, c’est ce qu’on appelle le tilt ou le sel, comme les larmes, une sorte de colère qui te fait perdre tes moyens et t’empêche de te concentrer. Tu continues à penser au caractère insupportable de l’adversaire et ça devient impossible de rentrer psychologiquement à nouveau dans la partie. Et ce n’est pas évident de s’en défaire. Du coup j’ai parfois tendance à arrêter de jouer dans la foulée, parce que j’en ai marre, c’est ce qu’on appelle le rage quit.
C : Et les studios de jeu laissent faire ? Ils ne font rien ?
G : Si, évidemment, parce que quand les communautés sont toxiques comme ça, ça ne donne pas envie de revenir jouer. Du coup on a plusieurs solutions proposées.
Par exemple, du côté de Blizzard, parce que c’est l’exemple que je connais le mieux, on ne peut plus écrire « GGEZ » dans le chat sur Overwatch. Lorsque vous envoyez ces quatre lettres, elles sont automatiquement remplacées par plusieurs phrases types. On a par exemple « Ma maman dit toujours que c’est pas bien de sucer son pouce pour des gens de mon âge », mais aussi « J’essaie d’être une personne plus respectueuse. C’est difficile, mais j’essaie, je vous jure ». Ma préférée, ça reste quand même « Je me sens tout petit... tout frêle... Quelqu’un veut bien me prendre dans ses bras ? »
C : Ahahahah, c’est effectivement bien vu de la part de Blizzard. Tu as d’autres exemples ?
G : Oui, par exemple sur Hearthstone. Déjà le jeu est hyper limité en matière d’interactions possibles entre les adversaires : Blizzard a fait exprès de ne pas intégrer de chat vocal et il n’est pas possible d’ajouter l’adversaire à vos amis pendant la partie, seulement après. Du coup, pour communiquer on a ce qu’on appelle des emotes. Ce sont six messages automatiques que l’on ne peut pas modifier.
[INSERT Hearthstone]
G : Mais malgré ça, certains joueurs ont pris l’habitude d’utiliser l’emote « Désolé » pour se moquer de leurs adversaires avant de leur envoyer le coup fatal. Ni une ni deux, Blizzard a finalement supprimé l’emote et l’a remplacé par « Admirable », pour permettre aux joueurs de féliciter l’adversaire de sa phase de jeu. Sauf que certains, toujours adeptes de bad manner, ont fini par utiliser l’emote « merci » en l’envoyant en masse fin de partie pour ridiculiser l’adversaire.
C : D’accord je vois, c’est effectivement hyper frustrant. Mais pourquoi les joueurs continuent à faire ça ?
G : D’abord parce que comme il y a de mauvais perdants, il y a aussi de mauvais gagnants. Mais ça va plus loin encore.
Il ne faut pas l’oublier, beaucoup de jeux vidéo en ligne ont un aspect compétitif et certains d’entre eux ont même une dimension e-sport, avec des compétitions et parfois des centaines de milliers d’euros à la clé. Du coup c’est un outil comme un autre pour faire perdre ses moyens à l’adversaire et tenter de remporter la victoire. C’est ce qu’expliquait le streameur Jibzz dans l’émission Bo3Talk sur TF1 Xtra.
[INSERT Trashtalk]
Mais même dans des situations plus détendues, lorsque vous jouez en parties classées chez vous, l’adversaire peut avoir intérêt à vous provoquer. Dans les parties classées, deux adversaires ont théoriquement à peu près le même niveau. Du coup, une fois la partie finie, vous avez des chances de retomber contre lui si vous rejouez tous les deux dans la foulée. Et s’il vous a nargué à la fin de la partie précédente, juste avant de gagner, vous avez de grande chance d’être toujours énervé, ou tilté.
Pour certains joueurs, le BM fait partie intégrante du metagame, c’est-à-dire du jeu autour du jeu. Et certains développeurs avaient même décidé d’intégrer ces mécaniques-là au sein même de leurs jeux vidéo compétitifs.
C : Ah oui, c’était le cas de Capcom avec Street Fighter 3rd Strike non ?
G : En effet, c’est un des exemples où le studio avait incité les joueurs à provoquer leurs adversaires. En fait, en lançant la commande de provocation, qui déclenche habituellement une simple animation visuelle sans aucun objectif, le joueur de Street Fighter augmentait la puissance de son personnage. Et quelque part, c’est comme une métaphore dans le gameplay de ce qui se passe entre les joueurs eux-mêmes.
C : D’accord, je vois très bien. En tous cas malgré tous les efforts des développeurs, les joueurs n’ont pas fini de rager. Merci Geoffroy pour toutes ces explications.
Ô rage, ô désespoir, ô « BM » ennemi !
Accro aux jeux vidéo compétitifs en ligne, Geoffroy Husson de « Tom’s Guide » nous raconte comment la communauté peut parfois être… frustrante. Agaçante. Arrogante ! Récit d’un mauvais perdant confronté tous les jours à une armée de mauvais gagnants.
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