M : Corentin, qu’est-ce que tu fais le 12 mai au soir ?
C : Euh, je sais pas, il y a un truc en particulier ?
M : Perso, j’ai bloqué ma soirée pour regarder France 2, qui diffusera la grande finale de l’Eurovision 2018, depuis Lisbonne. Cette année, notre beau pays est représenté par le duo Monsieur Madame, avec le single Mercy. Il avait été choisi via un télé-crochet intitulé Destination Eurovision.
EXTRAIT 1 : baisser après 11 secondes
C : Tu penses qu’on a de bonnes chances de gagner cette fois ?
M : Ce n’est en tout cas pas improbable. Mercy combine plusieurs caractéristiques qui plaisent à l’Eurovision : un rythme électropop simple, porté par des grosses caisses, et un propos engagé, universel, plein d’espoir. Mercy raconte l’histoire vraie d’une petite fille éponyme, nigériane, née en 2017 sur le navire de sauvetage Aquarius, qui vient au secours des réfugiés qui tentent la traversée de la mer. Selon France Inter, elle vivrait actuellement dans un camp de réfugiés avec sa mère, en Sicile.
C : Cette histoire devrait parler à de nombreux pays.
M : Oui, d’autant que le duo a essayé de mettre toutes les chances de son côté en faisant traduire sa chanson en anglais et en espagnol. Mais la Suède, la Norvège et Israël sont pour l’instant les grands favoris. Qu’on gagne ou pas, les Français devraient être au rendez-vous. En 2017, ils étaient 4,67 millions à regarder l’Eurovision, sur environ 200 millions de personnes dans le monde. Et parmi eux, il y a des gens, comme toi et moi, entre 25 et 35 ans, qui consomment peu la télévision de base, sont très connectés et ont des goûts musicaux plus ou moins pointus. Bref, des gens qui n’étaient pas la cible de base de l’Eurovision.
C : C’est vrai que ces dernières années, l’Eurovision semble toucher un nouveau public.
M : Pour essayer de comprendre ça, revenons au début. L’Eurovision a été créée en 1956. Le principe, pour ceux qui ont grandi avec les loups : une grosse quarantaine de pays s’affrontent dans une compétition musicale sans pitié. Chaque pays répartit des points entre ses 10 candidats préférés : 12 pour le premier, 10 pour le second, puis entre 8 et 1 pour les autres. Le pays gagnant accueille la finale l’année suivante.
C : Pendant longtemps, l’Eurovision s’est endormie. Le moment où tout a basculé est celui où Lordi a gagné, en 2006.
EXTRAIT 2 : baisser après 8 secondes
M : Souvenez-vous, Lordi, c’était ce groupe de hardrock finnois dont les membres étaient déguisés de manière ultra réaliste. Un peu comme les Orques dans le Seigneur des Anneaux. À partir de là, les pays participants se sont rendus compte qu’ils avaient tout intérêt à se réapproprier le côté ultra-kitsch de l’Eurovision et pousser le concept dans ses limites. Lordi a vraiment ouvert la boîte de Pandore. On en aurait pour des heures, donc je ne vais citer que quelques exemples. En 2007, l’Ukraine a envoyé le travesti Verka Serduchka avec une tenue rétro-futuriste tout droit sortie de Stargate. En 2013, la Roumanie a choisi une sorte de mi-vampire mi-chanteur d’opérette entouré de danseurs en slips rouges. 2017 était particulièrement riche en kitsch. Le Monténégro a fait sensation avec un candidat faisant virevolter une très longue natte de cheveux au-dessus de sa tête, telle les hélices d’un hélicoptère. Mais le plus drôle, c’est que l’Eurovision assume totalement ce côté kitsch. En 2016, l’organisation a signé une chanson auto-parodique, Love Love Peace Peace. Elle décrit avec ironie les ingrédients permettant de l’emporter.
EXTRAIT 3 : baisser après 11 seondes
https://www.youtube.com/watch?v=Cv6tgnx6jTQ
C : C’est du meta-Eurovision ! Rajoutez par-dessus la propension d’Internet à tout détourner, et l’Eurovision a pris une nouvelle envergure.
M : Internet a fait de l’Eurovision une source inépuisable de mèmes. Les internautes sont désormais des millions à scruter la cérémonie, leur petit logiciel faiseur de gifs à portée de clics, prêts à dégainer à tout instant. Ils espèrent cerner la mise en scène too much, le costume ridicule, qui leur permettra d’exploser leur nombre de notifications sur Twitter. En 2017, environ 8 millions de tweets ont été postés pendant la finale de l’Eurovision. L’une des séquences à avoir en premier marqué Internet est bien sûr… Epic Sax Guy. En 2010, ce Moldave a fait hurler de rire les téléspectateurs et les internautes en jouant du saxophone, sans que l’instrument soit branché, avec des coups de hanche assez impressionnants.
EXTRAIT 4 : baisser le son après 11 secondes
C : C’est pour ce genre de moments ridicules qu’on regarde l’Eurovision à présent.
M : Au fond, peu importe le gagnant, tant que quelques pays offrent des prestations aussi absurdes que fascinantes. Pour certains c’est presque de la bienveillance un peu condescendante. Parce qu’en fait, on n’est même pas dans du guilty-pleasure, puisqu’on ne se cache pas de regarder l’Eurovision.
C : En s’emparant de l’Eurovision, les internautes lui ont donné une dimension réellement internationale.
M : L’Eurovision est diffusée aux 4 coins du monde depuis longtemps, mais les médias non-européens s’y sont d’autant plus intéressés à mesure que les internautes en ont parlé. Depuis qu’elle a été invitée pour la première fois en 2015, l’Australie revient chaque année ! Pays situé littéralement à l’autre bout de la planète ! Apparemment, ce serait pour rentabiliser les droits de diffusion, et parce que les Australiens adorent l’Eurovision. Depuis 2016, le règlement a assoupli les critères pour qu’un pays non-européen se joigne à la compétition.
C : Mais est-ce que le kitsch paie vraiment ? Est-ce qu’il suffit d’être Lordi pour gagner l’Eurovision ?
M : Eh bien non. Lordi, c’est l’exception qui confirme la règle. Ce sont, généralement, des chansons pop génériques, standards, qui l’emportent. En 2016, la France s’était très bien classée avec Amir et son J’ai cherché.
EXTRAIT 5
C : OOU-WOO-OUUU-WOOOO
M : Stop stop stop ! Plus sérieusement, l’Eurovision peut aussi offrir une superbe exposition à des personnalités atypiques, comme l’Autrichienne Conchita Wurst. Impossible que vous ayez oublié cette splendide femme transexuelle avec une barbe soignée, une chevelure soyeuse et une ligne impeccable. En 2014, elle remporte l’Eurovision avec Rise Like A Phoenix, tube international qui a fait d’elle une icône gay.
EXTRAIT 6
C : Merci Morgane Giuliani pour ce petit retour sur l’histoire aussi kitsch qu’amusante de l’Eurovision. Rendez-vous le 12 mai sur France 2 pour la grande finale !
L’Eurovision : du kitsch à la fascination
L’Eurovision, c’est bientôt, et pour de plus en plus de personnes, il s’agit d’un événement à ne surtout pas louper ! Comment ce concours de la chanson est-il devenu aussi à la mode après avoir été aussi ringard ? On décrypte ça avec Morgane Giuliani.
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