Corentin : Alan Ball, le créateur de Six Feet Under, fait son grand retour dans le paysage des séries télé avec “Here and now”, une série ancrée dans son époque sur une famille dysfonctionnelle, teintée de mystère… Marie Turcan a pu voir la moitié de cette première saison, alors Marie, est-ce une réussite ?
Marie : Tu sais, récemment, j’ai découvert qu’il y avait des personnes qui, sur la même planète que moi, avaient inventé des nouvelles manières de réinventer la cuisine traditionnelle. Par exemple, si tu te rends au Five Guys, ce fast food américain qui a ouvert une enseigne en France, on te proposera, tout naturellement, de commander un milkshake vanille aux morceaux d’Oreo-BACON. Oui tu as bien entendu, Oréo-Bacon, car: quoi de mieux pour sublimer un dessert que d’y mettre: du bacon.
Et quand j’ai regardé les 4 premiers épisodes de “Here and Now” je n’ai pu m’empêcher de penser très fort à ce Milkshake Vanille Oréo Bacon.
C : Donc ici, chers auditeurs, nous voilà devant une parabole alambiquée dont seule Marie Turcan a le secret… Car je suppute bien qu’il ne s’agit pas d’une série culinaire !
M : Here and now ne se passe pas dans le milieu de la cuisine, non. Here and now est en fait une série avec beaucoup, beaucoup, beaucoup d’éléments, superposés les uns aux autres. Et même si j’aime beaucoup les milkshakes, j’aime bien la vanille et je suis plutôt fan de bacon, je trouve le mélange audacieux, voire bourratif.
Here and now, c’est d’abord beaucoup de personnages. Prenez une famille démocrate, des parents sexagénaires à moitié déprimés et leurs 4 enfants dont 3 adoptifs, tout aussi torturés.
C : Et si je ne me trompe pas, cette famille s’appelle “Fisher”, comme dans une autre série d’Alan Ball...
M : Oui dans Six Feet Under, Alan Ball avait déjà appelé sa famille dysfonctionnelle Fisher. Pour les nostalgiques dont je fais partie, souvenez-vous:
EXTRAIT THEME SIX FEET UNDER
https://www.youtube.com/watch?v=w5JkGY1qC8Y
C’est évidemment un clin d’oeil, et je trouve ça plutôt malin de la part d’Alan Ball. Il prend les devants et de prémunit des tentatives de comparaisons un peu trop faciles entre les deux productions, que 15 ans séparent.
Alors oui, il y a des thèmes similaires: les deux séries parlent d’une famille compliquée, dont certains ont du mal à communiquer de manière intime ou sincère. Mais là où Six Feet Under abordait avec poésie les introspections métaphysiques de ses personnages, Here And Now se veut plus cartésienne, et un peu plus éparpillée.
C : Le fameux milkshake au bacon.
M : Le fameux “je vais vous parler de notre époque, et puis des relations familiales, et puis aussi de politique… Ah, et vous reprendrez bien un peu d’hallucinations mystiques avec ça?
C : D’accord ! Ça y est ! Ton analogie devient claire !
M : Parce que oui, entre un père en burn-out, une mère qui en fait trop, des enfants qui vivent le racisme ordinaire au quotidien, un enfant musulman gender-fluid... Alan Ball a choisi de rajouter des éléments surnaturels. Ramon, l’un des enfants adoptés du couple Fisher, voit des choses qui n’existent pas… ou peut-être que si ?
Le problème c’est que malgré ces défauts, et contrairement à plusieurs confrères américains, je n’ai pas réussi à avoir un avis aussi négatif et tranché sur la série. Parce qu’entre ces scènes un peu superflues et une certaine lourdeur dans l’exposition des discriminations, Alan Ball a su montrer ce qu’il saisit le mieux: la défaite face à la recherche du bonheur.
La série parle d’une famille démocrate sous Trump, et de leur perte de repères. Mais elle parle surtout de l’avènement de la dépression, à une époque où l’on considère constamment que l’herbe pourrait être plus verte ailleure.
Les personnages ne sont pas définis par ce qu’ils ont, mais par ce qui leur manquent.
EXTRAIT HERE AND NOW https://www.youtube.com/watch?v=pWqRw4NfFDA
En cela il y a un personnage que j’adore, il s’appelle Duc est il est insupportable.
Il est une caricature de l’homme idéal, beau, musclé, intelligent, coach sportif, toujours impeccable, qui a fait voeu de célibat pour être “concentré” sur ses objectifs professionnels. Mais voilà, Duc est aussi profondément vide.
Au-delà du personnage de fils adoptif qui n’arrive pas à nouer de relation sincère avec son père, il incarne pour moi une génération de jeunes gens, amicaux de prime abord mais distants dans le fond — dans une société où l’apparence est devenu autant le conscient que l’inconscient.
C : Le bilan n’est pas si négatif alors...
M : Non, il y a plein de bonnes choses à garder dans Here and Now. Et puis Alan Ball avait déjà montré avec True Blood qu’il aimait ce qui était grandiloquent, too much, un peu kitsch.
Là il s’est fait plaisir, tout en montrant des choses qu’on ne voit encore que très peu à la télé, qu’elle soit américaine ou européenne.
On a là une sorte de This Is Us version trash, un Sense8 mais en moins lyrique. En somme, une série qui s’inscrit dans son époque, à l’image d’une The Good Wife qui serait certes pleine de défaut mais qui mérite sa place dans le paysage audiovisuel actuel.
C : Merci Marie, le milkshake “Here and now” est servi par OCS depuis le 12 février, chaque semaine en H+24 après la diffusion américaine. À bientôt !
« Here and now » : la série version milkshake vanille-Oreo-bacon
Bien qu’elle soit ancrée dans son époque, la nouvelle série du créateur de « Six Feet Under » essaye peut-être d’en faire trop. Ça s’appelle « Here And Now », et contre une critique pas toujours tendre, Marie Turcan de « Business Insider France » tente d’en prendre un peu la défense.
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