On l’appellera R. Une simple lettre pour éviter à sa famille, vivant à Kaboul, d’être identifiée. R. était l’interprète d’Ishaq Ali Anis, Aqeel Ansari, Mursal Sayas, Jamila Elyas Zada et Sami Ataee au Quick Palace, l’hôtel de la banlieue parisienne où les exfiltrés de Kaboul suivis par Les Jours ont été logés à leur arrivée en France fin août 2021 (lire l’épisode 2, « Un sac, un pull, de l’eau, adieu Kaboul »). Seul Afghan dans l’équipe constituée pour les recevoir au nom de l’État français, il avait été embauché la veille du début de cette mission. « Après deux années de galères à Paris, je pensais avoir trouvé un emploi stable, tranquille », dit-il.
Le jour où il se rend à l’aéroport Charles-de-Gaulle – le 22 ou le 23 août, il ne se souvient plus –, il a en tête les images du chaos provoqué par le retour des talibans au pouvoir. Cette fuite de dizaine de milliers de ses compatriotes cherchant un vol pour l’étranger. « Je m’attendais à être heureux pour ceux qui arrivaient car eux s’en étaient sortis », dit-il. À ce moment du récit, R. marque un silence. Le premier depuis le début de notre conversation. Durant deux heures et demie, il vient de détailler les circonstances de son propre exil d’Afghanistan, sans ciller, de manière factuelle. Racontant comment, équipé de faux papiers, le 28 février 2019, il avait dû quitter son pays et sa famille après une série de menaces « des groupes insurgés aujourd’hui au pouvoir ». Sa voiture avait été la cible de coups de feu.