Que se passe-t-il lorsque je demande à Alexa quelle est la météo pour la journée, ou de lancer la playlist où j’ai glissé toutes les chansons que j’ai aimées cette année ? C’est une question qui traverse toute cette enquête, car l’enceinte Amazon Echo qui sert de véhicule à la personnalité virtuelle de la marque reste une boîte mystérieuse. Elle est comme le monolithe impénétrable auquel s’attaquent des australopithèques au début de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Son pouvoir est insaisissable car il se trouve ailleurs, non pas dans la machine mais dans les serveurs d’Amazon. Loin, très loin, quelque part (lire l’épisode 9, « Alexa, que vous avez de grandes oreilles… »).
C’est la grande rupture que décrit le site internet Anatomy of an AI System. Cette « anatomie d’un système d’intelligence artificielle », créé par Kate Crawford, professeure à la New York University et au Research Lab de Microsoft, et Vladan Joler, professeur à l’université de Novi Sad, en Serbie, présente l’impressionnant travail de compréhension, de description et de visualisation des ressources nécessaires pour faire exister Alexa. Couplée à un long texte éloquent qui rassemble les recherches disponibles à ce jour sur la « boîte noire » qu’est l’intelligence artificielle, cette vaste cartographie de 3,60 mètres par 2,20 mètres est présentée jusqu’au 6 février 2019 à la Gaîté lyrique, à Paris, dans le cadre d’une grande exposition sur les dessous d’internet. La carte des deux chercheurs (à voir ici en pdf) révèle les grandes lignes d’un réseau volontairement obscur qui consomme des matières premières non renouvelables, du travail humain au coût social élevé et une masse de données d’usage que nous fournissons, nous, travailleurs gratuits, en utilisant chaque jour les machines et les services proposées par Amazon ou Google, comme Alexa ou Google Assistant.
« Si vous lisez notre carte de gauche à droite, disent les auteurs, l’histoire commence et se termine avec la Terre et les processus géologiques du temps profond. Chaque objet qui fait partie d’un réseau d’intelligence artificielle, des routeurs aux batteries en passant par les microphones, est fabriqué à l’aide d’éléments que la Terre a fabriqués en plusieurs milliards d’années. Nous extrayons donc l’histoire de la Terre afin de produire des appareils qui sont souvent conçus pour être utilisés pendant quelques années seulement. » Amazon est particulièrement pointé du doigt pour son opacité dans ce domaine, rappelle un rapport de l’ONG Greenpeace cité dans Anatomy of an AI System.