Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste et docteur en psychologie, s’est penché sur notre relation aux machines autonomes, notamment dans Le jour où mon robot m’aimera (Albin Michel, 2015) et Petit traité de cyber-psychologie (Le Pommier, 2018). Pour lui, les personnalités virtuelles comme Alexa, l’assistant vocal d’Amazon, vont s’installer dans nos vies et les influencer dès la petite enfance.
Comment voyez-vous l’entrée des assistants vocaux dans nos vies ? Que peut nous apporter cette présence artificielle ?
Je préfère parler de « pseudo-présence ». La présence artificielle, c’est ce qui est revendiqué par le fabricant : il fabrique une présence artificielle, mais pour l’utilisateur, elle n’est pas perçue comme artificielle. Elle est perçue comme plus ou moins capable d’assurer une présence crédible. La pseudo-présence, c’est aussi souvent le régime de la vie quotidienne ! Par exemple, je suis avec mon conjoint, j’aimerais lui parler mais il veut absolument regarder la télé ou lire son roman. Il est fatigué. J’essaye de parler de quelque chose, mais il me parle d’autre chose… C’est bien une présence, mais pas celle que j’attends.
D’où vient le marché immense de la psychothérapie ? Du désir des gens d’avoir affaire à une vraie présence, à quelqu’un qui les écoute.
D’où vient le marché immense de la psychothérapie ? Du désir des gens d’avoir affaire à une vraie présence, à quelqu’un qui les écoute. Beaucoup de gens disent : « Au moins, vous êtes attentif à moi. Vous ne parlez pas de vous et ça, je ne le trouve pas dans ma vie. » La présence des assistants vocaux sera donc de l’ordre d’une pseudo-présence plus ou moins réussie, comme le sont la plupart des présences de la vie quotidienne.

À quel moment pourra-t-on dire qu’une machine est intelligente ?
Actuellement, un assistant vocal correspond au modèle traditionnel d’une machine : vous allez vers lui (lire l’épisode 3, « Alexa en plein âge bête »), vous lui posez une question et il vous répond. En revanche, il est incapable de vous parler de ce qui est autour de vous, d’interagir avec l’environnement. Un saut technologique va complètement changer le statut de ces assistants, c’est le couplage avec la vidéo, le jour où vous aurez un assistant vocal dans votre poche et que, tout à coup, il vous dira : « Regarde l’oiseau dans l’arbre là-bas, je crois que c’est un merle. » C’est le couplage visuel-vocal qui crée un vrai compagnon.
Beaucoup de scientifiques pensent que l’intelligence artificielle sera toujours incapable de développer une intelligence polyvalente. Pour cela, il faut un corps.
Mais cela restera quand même une voix, alors que l’être humain construit sa relation au monde à partir de son corps.