Son coude est nonchalamment posé sur un cube barré du logo Carrefour. Une main s’enfonce dans la poche du pantalon, l’autre pendouille dans la douceur. L’homme est cool. Son regard porte loin et fier. Normal, nous dit Le Parisien en une, le 24 janvier dernier, car c’est « L’homme qui veut RÉVOLUTIONNER la grande distribution » (les majuscules sont d’origine). Ça en jette. Comment Alexandre Bompard, patron de Carrefour depuis juillet 2017, va-t-il s’y prendre ? D’abord en supprimant des milliers de postes.
Mais ça, la première page du quotidien ne le dit pas. Il faut ouvrir le journal pour l’apprendre. Comme le prouve cette une, la multinationale a réussi fin janvier un coup de maître en communication. Elle a tout simplement éclipsé une « séquence » négative pour son image – les suppressions d’emplois – grâce à une « séquence » positive : le moment bio. Le service après-vente de cette brillante idée est géré par l’agence Havas. Stéphane Fouks, son vice-président, fanfaronnait d’ailleurs à ce sujet le 13 février dernier devant des journalistes : « Sur la communication de Carrefour, je suis assez content du résultat, car le plan stratégique de l’entreprise ne s’est pas résumé au sujet social. »

La presse a ainsi largement relayé le fait que Carrefour veut devenir « le leader mondial de la transition alimentaire pour tous ». La « transition alimentaire », allons bon. L’expression ressemble vaguement à la « transition écologique » et à la « transition énergétique », deux concepts très utilisés dans la communication présidentielle et gouvernementale lors du quinquennat Hollande. Depuis, dans l’imaginaire collectif, la transition, c’est bien. Par association d’idées, la transition alimentaire, ça semble bien aussi. Alors qu’en fait ça ne veut rien dire. Même le peu anticapitaliste directeur de la rédaction de BFM Business Stéphane Soumier – il se décrit comme défenseur des spéculateurs et des évadés fiscaux sur son compte Twitter – a relevé ce tour de passe-passe avec un smiley clin d’œil et le hashtag un peu moqueur « #inventeunconcept ».
Créer de toutes pièces une notion comme celle-là a un avantage : ça n’engage pas à grand-chose. Aucun risque qu’une hypothétique association de défense de la transition alimentaire vienne mettre des bâtons dans les roues d’un plan dont les premières mesures s’avèrent socialement très violentes pour les salariés, dont au moins 2 400 vont devoir opérer une transition… vers la porte.
Contacté pour nous aider à comprendre ce paradoxe, le service de presse de Carrefour a seulement commenté nos questions par mail : « L’enseigne a pour objectif d’ici 2022 de gagner un million de consommateurs supplémentaires de produits frais en France, de multiplier par trois le chiffre d’affaires sur les produits frais traditionnels, de porter à 5 milliards d’euros le chiffre d’affaires dans le bio et de réaliser un tiers du chiffre d’affaires via des produits à marque Carrefour. Pour répondre à cette ambition de devenir le leader de la transition alimentaire pour tous et de répondre aux nombreux défis auxquels est confronté le groupe, Carrefour doit impérativement se transformer afin de pérenniser et développer l’activité économique et les emplois. » Vous avez bien lu, le service de presse de Carrefour explique, droit dans ses bottes, que le groupe supprime des postes afin, in fine, de « pérenniser et développer les emplois ».