L’anecdote, vécue par l’auteur, date de 2013. À l’époque, Didier (nous avons modifié son prénom pour préserver son anonymat) pensait toucher sa bille en matière de choux. Il aimait séduire ses convives avec un chou fleur blanchi, massé à l’huile d’olive puis braisé au four. Mais un soir d’octobre, son cousin Valère a tout gâché en lui lançant : « Vas-y Didier, passe-moi le chou kale. » Il s’est figé, incrédule, devant un chou qui lui était inconnu. Ce légume avait de longues tiges vertes très frisées. Didier venait de découvrir le chou kale, un légume sur le retour à l’époque, au même titre que le topinambour ou le citron bergamote (lire l’épisode 3, « Le citron bergamote, c’est quoi ce truc de bobio ? »).
Cinq ans plus tard, le chou kale (prononcez « kayle ») est devenu une star. C’est sûrement aujourd’hui le plus tendance et le plus connu des légumes oubliés. C’est sûrement lui aussi celui qui a connu l’ascension la plus rapide dans le palmarès des légumes anciens favoris des français. L’évolution du nombre de ses recherches Google est très révélatrice. En 2013, un peu du jour au lendemain, il a envahi les magasins spécialisés et a été célébré dans les magazines comme aliment miracle et « détox ». De même, ce légume a connu un intérêt de plus en plus grand chaque année sur Google, avec des pics de recherches au moment de sa récolte, au début de l’hiver.

Ce sont les chefs américains qui ont commencé à mettre le kale à toutes les sauces. Les restos, les urbains et même la famille Obama ont suivi. En France, c’est notamment une publicitaire américaine, Kristen Beddard, qui est à l’origine de la hype autour de ce légume, avec « The Kale Project ». C’est elle qui, bénévolement au départ, a démarché des producteurs, chefs et distributeurs français, mobilisé les expatriés américains et communiqué massivement dans la presse et sur un site dédié : « J’ai trouvé trois cultivateurs que je pensais pouvoir convaincre de produire du kale parce qu’ils produisaient déjà des légumes oubliés. Je les ai aidés à trouver des graines et j’ai facilité ensuite la vente de leurs légumes en référençant tous les lieux où l’on pouvait acheter du kale. Tout ça est arrivé au bon moment, puisque les restaurants “sains”, “écolos” et “détox” étaient en train de devenir très populaires à Paris et en France. .
Une Américaine qui œuvre à démocratiser un légume en France, c’est un peu fou non ? Sachez que ce n’est pas la première fois que ça arrive.