Peut-on être locavore
Si vous vivez en climat tempéré, en revanche, pour être locavore et bananophile, il va falloir vous rapprocher de gens un peu dingues ou en tout cas très déterminés. Dans le milieu de la banane, il y en a fort heureusement un paquet. Des Islandais sont par exemple parvenus, dans les années 1940, à cultiver des bananes sous serre, chauffées via la chaleur du sol. Le projet a échoué commercialement, mais quelques centaines de bananiers sont toujours exploités de cette façon aujourd’hui dans des serres situées à quelques dizaines de kilomètres au nord de Reykjavik, juste pour le plaisir botanique. Ils donnent presque une tonne de bananes par an.
En France métropolitaine, quelques aventuriers agronomiques sont aussi parvenus à sélectionner des variétés capables de résister sous notre climat. On a vu ces dernières années des pépiniéristes, des horticulteurs, des chefs et des jardiniers s’y essayer avec pas mal de succès, certains parvenant même à commercialiser localement plusieurs centaines de kilos de bananes.

Ces dingues de la banane sont sympathiques, mais ils vont à dire vrai totalement à rebours de l’histoire de ce fruit. Car cette histoire est celle d’une industrialisation, d’une globalisation et d’une standardisation palpables jusque dans votre imaginaire. La preuve : fermez les yeux quelques secondes, le temps de visualiser une banane. Vous avez imaginé un fruit jaune et légèrement incurvé qui mesure entre quinze et vingt centimètres. Il n’y a en effet nulle trace dans nos étals ou dans votre imagination des centaines d’autres variétés de bananes, qui sont parfois plus petites ou plus grandes, rouges, tigrées, plus rectilignes, non sucrées ou encore porteuses de graines. Tout simplement parce que – contrairement aux pommes, aux prunes ou au raisin – seule une variété de banane est cultivée pour l’exportation à l’échelle de la planète. Son nom : la Cavendish.
Denis Loeillet, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), retrace comment on en est arrivé là : « Dès le début du siècle dernier, une seule variété était déjà cultivée pour l’exportation, elle s’appelait la Gros Michel. Mais une maladie appelée la jaunisse fusarienne ou maladie de Panama a emporté la quasi totalité des cultures dans les années 1950. Il y a eu alors une sorte de gros coup de bol, un miracle, sa remplaçante a été trouvée et elle remplissait parfaitement le cahier des charges des besoins de l’époque. » Comprenez qu’elle était à la fois résistante à la maladie de Panama, très productive en toutes saisons, bien calibrée, capable d’être transportée à basse température pendant plusieurs semaines avant d’être exposée à l’éthylène, un gaz qui déclenche le mûrissement… et après tout cela, la Cavendish a un goût sucré et une texture moelleuse appréciés dans le monde entier.