Lors de mes pérégrinations de travailleur sur Amazon Mechanical Turk (MTurk), la plateforme d’Amazon qui met en relation des entreprises ayant besoin de petites mains et des internautes-travailleurs éparpillés à travers la planète, je suis régulièrement tombé sur des tâches à la saveur particulière. L’une d’entre elles me demandait par exemple de délimiter les quatre coins de vieilles cartes locales des États-Unis avec un carré de couleur dédié. Rien de bien compliqué, ces limites étaient bien souvent marquées et tracées, même si parfois ces lignes étaient peu visibles ou se perdaient dans le dénivelé d’une montagne, le découpage inégal d’une côte. Franchement, un enfant aurait pu le faire sans problème.
Il y a de nombreuses tâches de ce type sur Amazon Mechanical Turk, qui tombent en flot continu à côté de tâches de saisie (de tickets de caisse, d’adresses sur des cartes de visite…) ou de questionnaires divers. Ce sont des tâches qui sont tellement évidentes qu’on se demande pourquoi elles ne sont pas confiées à des machines qui feraient ça mieux et sans pause café.
Mais c’est justement là, dans ce genre de travail répétitif et pas très compliqué, que se cache l’une des raisons du succès de MTurk et d’autres plateformes nées sur le même modèle. Car ces tâches ne demandent « pas de compétences, mais du sens commun. Ce qui manque aux machines », explique le chercheur Antonio Casilli dans son livre En attendant les robots, qui détaille les diverses formes de travail humain cachées aujourd’hui dans les divers recoins de l’internet. Dans le cas de ces cartes, c’est parce que certaines de leurs limites sont incertaines et mêlées à d’autres données graphiques qu’une intervention humaine reste nécessaire. Une intelligence artificielle serait aujourd’hui tout à fait capable de repérer seule des limites franches, au tracé systématisé, mais échouera face aux cas particuliers. Or, la vie est faite de variations et d’incertitudes et l’entreprise Avenza Maps, qui revend ensuite chacune de ces vieilles cartes scannées presque 2 dollars alors que j’ai été payé 0,01 dollar pour délimiter chacune d’entre elles, a donc besoin d’une armée d’humains pour seconder les machines qu’elle utilise afin de construire sa base de cartes.
Voilà pourquoi on trouve sur MTurk tant de tâches répétitives à l’apport technique très limité, que n’importe qui peut réaliser depuis l’Inde, les États-Unis ou la France.