Karan a 23 ans, il vit à Mumbai en Inde et il a commencé à « turker », c’est-à-dire à travailler sur la plateforme Amazon Mechanical Turk, la plateforme du géant du commerce en ligne qui met en relation des travailleurs payés au clic et des employeurs, au début du mois de janvier. Je l’ai rencontré sur MTurkCrowd, l’un des principaux forums en ligne de microtravailleurs, qui viennent s’y échanger des conseils ou tout simplement parler avec des semblables éparpillés à travers le monde. Il y a d’autres forums de ce type, notamment TurkerNation. C’est là que j’ai pu discuter avec de nombreux turkers ces derniers mois, pour aborder leurs motivations et leurs frustrations face à cette forme de travail qui les laisse seuls face à leur ordinateur. D’où le besoin de se retrouver entre « collègues » sur ces forums, où l’on croise avant tout les plus impliqués.
Le jeune Karan a un travail, même s’il n’a pas voulu me dire ce que c’est. « Comme ce boulot n’est pas loin de chez moi, dit-il, j’ai la chance de ne pas avoir beaucoup de transport et donc j’ai du temps libre. » C’est pour occuper ces quelques heures distendues à la fin de sa journée que Karan s’est inscrit sur la plateforme d’Amazon. Il travaille comme cela un peu chaque soir, ou presque. Quand nous avons discuté, il estimait avoir gagné « 93 dollars pour trente heures de travail. C’est bien, vu d’Inde ! Ici, la majorité des gens gagnent 500 dollars par mois pour un job normal. »
L’argent gagné sur Amazon Mechanical Turk (MTurk pour les habitués) doit être « un petit plus » pour Karan, pas remplacer son emploi actuel. Il n’en fera de toute façon jamais un travail à temps plein, car Amazon refuse à ce jour de verser ces revenus sur un compte bancaire indien… Être payé directement, ce n’est possible que pour les travailleurs américains ou européens. En Inde, l’argent est donc transformé en bons d’achat sur… Amazon. Malin. Ce problème mis à part, Karan est un turker tout à fait classique, car la majorité d’entre eux comptent sur la plateforme pour un complément de revenu, rien de plus. Amazon ne communique pas de données sur « ses » travailleurs, mais on peut trouver des études sur leurs motivations. Ainsi, selon l’une d’entre elles datant de 2016, 48 % des turkers se connectent à la plateforme plus de onze heures par semaine. Les autres y passent une heure par jour entre deux rendez-vous, le soir une fois les enfants couchés, ou encore concentrent de longues heures de travail sur une journée.
Noelle est de ceux-là.