Mis en place dans les mairies lors de la crise des gilets jaunes, les cahiers de doléances sont désormais loin des regards, dans les archives départementales (lire l’épisode 1, « À la recherche des doléances perdues »). Les citoyens y interpelaient Emmanuel Macron. Cet été, « Les Jours » en publient des extraits, bruts.
«L’agriculture on en parle ?? Nourrir le pays et gagner 500 euros par mois… On n’en peut plus. Je me lève tous les jours à 6 heures et jusqu’à la nuit, et même la nuit, je prends soin de mes bêtes. Je ne vis plus, je survis. Le prix d’achat de mes animaux : trois euros du kilo. Quand on achète une entrecôte : 25 euros au supermarché ??? Les intermédiaires se gavent sur notre dos.
Nous sommes des acteurs majeurs de la ruralité. La montée du véganisme alimenté par les médias à l’affût de la moindre histoire ne fait qu’empirer notre situation. Dans dix ans, 30 % en moins d’agriculteurs en France, comment aider et encourager les jeunes à s’installer et vivre de l’agriculture de manière correcte ? Le prix du gasoil, notre outil de travail principal, avec la hausse des prix : impossible de couvrir nos frais. Nous ne voulons pas de faveur mais être payés à notre juste prix.
Les produits venant de l’Europe sont une catastrophe pour notre équilibre. Pas les mêmes normes, pas les mêmes produits interdits et surtout, sur l’étalage de la grande distribution, pas les mêmes prix. On nous parle du bien-être animal mais dans les autres pays, il n’existe pas. Le steak immangeable c’est le leur, mais on veut du made in France.
La retraite… Largement en dessous du seuil de pauvreté… Comment travailler toute sa vie, gagner une misère et arriver à la retraite et avoir encore pire ?!!!
L’arrivée du loup… Un grand débat… Nos ancêtres les ont fait fuir. Il y a bien une raison, non ?? Le réintroduire sans concertation, sans gestion. Combien coûte-t-il par an !? Combien de population existante ? Mensonge… Manipulation… Il faudra savoir si vous voulez des loups ou des agriculteurs !
La PAC ??? Son évolution, quelqu’un la connaît ? Tant de questions à poser… Et toujours si peu de réponses… Ne jamais oublier que sans agriculture notre territoire ne serait pas ce qu’il est.
M., chef d’exploitation agricole, chasseur, Jeunes agriculteurs »
«Le drame que l’on vit actuellement est, à mon avis, la conséquence d’une perte de confiance envers nos élus, cette érosion datant de nombreuses années. Ce malaise prend racine dans le mauvais exemple donné par certains de nos dirigeants : mensonges, manipulations, malversations, enrichissement personnel et le matraquage fiscal. Il paraît évident que pour ceux-là, l’intérêt personnel prime sur l’intérêt collectif. Le ressenti du peuple est que nos élus votent des lois contraignantes pour le peuple et qu’ils font en sorte d’en être exemptés. Il est loin le temps où le “Général” payait ses timbres avec ses propres deniers.
Pour tout vous dire, j’ai mal à ma France. Notre démocratie tant enviée de par le monde est bafouée, mais force doit rester à la loi. Que représentent 50 000 manifestants au regard des 60 millions de Français ? Nous n’avons pas affaire à des “chenapans” comme diraient certains. Ce sont de vrais délinquants qui commettent des délits, il faut donc répondre avec force et courage pour défendre notre démocratie et leur faire rendre des comptes.
Personnellement, je ne pense pas qu’il y ait deux catégories de gilets jaunes, les gentils et les autres : les méchants, anarchistes, casseurs et voleurs. Je pense au contraire que les “gentils” sont bien contents que les “méchants” installent ce climat insurrectionnel qui met la pression sur le gouvernement qui se voit obligé de faire marche arrière et de céder sur de nombreux points. Cependant, la faute en revient au président Macron qui n’a pas su doser l’effort demandé préférant rechercher le point de rupture, oubliant même d’y mettre les formes. Ce ciblage sur les classes moyennes, avec la hausse de la taxation sur les carburants et la hausse de la CSG sur les retraités, a catalysé toutes les déceptions contenues jusqu’alors et poussé les gens, dont ceux-là même qui l’ont élu, à descendre dans la rue. Le Rubicon a été franchi avec tous les effets en cascade dramatique que nous connaissons aujourd’hui : “Le dentifrice est sorti du tube et le gouvernement actuel est incapable de le faire rentrer dedans !”
Dans ma carrière de manager, on m’a appris que ce qui importait, c’était la dernière ligne du bilan. Pour les ménages, c’est le net, ce qu’il reste “in the pocket” après paiement des impôts et charges. Et pour beaucoup, le compte n’y est plus. De plus, pour les classes moyennes, celles qui sont juste à la charnière, celles qui sont assujetties à l’impôt, celles qui ne sont éligibles à aucune aide, la situation devient supportable comparée à certains non assujettis à l’impôt, qui touchent le RSA + APL + CMU + diverses aides en provenance du monde associatif. Pour peu que ces derniers fassent un peu de black, on peut comprendre que leur motivation pour trouver un emploi ne soit pas très élevée !
On peut comprendre aussi que ceux qui travaillent, ceux qui sont à la charnière se posent la question de savoir pourquoi ils travaillent ? Comme l’on peut dire : “trop d’impôt tue l’impôt”, on peut aussi dire que “à vouloir faire trop de social, on tue le système”. Je préfère citer la Bible : “Aide-toi et le ciel t’aidera.” »
«Objet : faciliter la mobilité et les services aux personnes
Bonjour, pourrions-nous obtenir plus de trains directs de Persan-Beaumont à Paris-Nord et une ligne express afin de faciliter la vie des citoyens se rendant à Paris ou à l’aéroport de Charles-de-Gaulle (limitant ainsi les problèmes de circulation et de pollution) pour travailler quotidiennement et rapprocher nos villes du Grand Paris ?
Pourrions-nous aussi avoir les mêmes avantages que les Parisiens en termes de mobilité (plus de connexions entre nos villes, augmentation des offres de transport plus ponctuelles pour connecter les villes entre elles, véhicules électriques à disposition pour les courtes distances, vélos électriques, pistes cyclables, etc.) ?
Ouvrir les points relais (box) dans notre ville pour récupérer les colis 24/24.
Merci. »
«7 janvier 2019
Monsieur le secrétaire d’État [adressé à Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’État chargé du Numérique, ndlr],
Je vous ai vu sur une chaîne d’information courant décembre à propos de la numérisation des services de l’État et je voudrais vous faire part de quelques remarques. Dans cette interview, vous expliquiez que 20 % des Français ne savaient pas se servir d’internet. Là, je me dis : “Enfin un homme politique qui appréhende le désarroi de beaucoup de nos compatriotes devant un clavier et un écran !” Je pense en effet qu’il y a, au bas mot, plus de 20 % des Français qui sont réfractaires au “numérique”. Mais vous ajoutiez avec un sourire : “En même temps, on va les former…” Et là, mon enthousiasme retombe comme un soufflet et je me dis : “Décidément, lui non plus n’habite pas dans le même pays que moi.”
Est-ce que vous imaginez réellement former 20 % de nos compatriotes au numérique ou est-ce que vous êtes dans votre rôle d’homme politique solidaire du gouvernement et voulez justifier la numérisation de tous les services administratifs de l’État sans en mesurer réellement les conséquences ?
Dans l’hypothèse où vous êtes sincère et imaginez former tous les Français au numérique, je pense que vous manquez de réalisme : tout le monde ne pourra pas être formé au numérique et cela va devenir un véritable handicap pour beaucoup. Je dirige une PME dans un département rural, la Corrèze (qui a tout de même donné deux présidents à la Ve) et je peux vous garantir que plus de 20 % de mes concitoyens ne pourront jamais se former au numérique. Et par la suppression de tous les formulaires papier et tous les guichets administratifs, vous créez des citoyens qui se sentent exclus dans leur propre pays. À titre d’exemple, j’ai discuté il y a peu avec une de mes coursières qui m’a avoué avoir pleuré pour récupérer une carte grise d’un véhicule qu’elle avait acheté. Elle m’a précisé : “Avec tous ces nouveaux services sur internet, je me sens comme un migrant dans mon propre pays.” Avec cette numérisation menée à la hussarde, vous participez à la fracture numérique et à l’exclusion sociale qui pousse à enfiler un gilet jaune pour faire comprendre au monde politique qu’il fait fausse route et c’est toute la cohésion de notre pays qui est en jeu.
Il existe pourtant des solutions simples pour mettre en place cette numérisation des services administratifs : il suffit d’organiser dans les mairies des permanences de “guichets numériques” avec des personnes réellement formées pour aider nos concitoyens dans toutes leurs démarches administratives. De telles mises en place sont urgentes à l’heure où beaucoup de Français se sentent abandonnés par l’État et sont tentés par un vote populiste.
En espérant vous aider à voir notre pays tel qu’il est et participer ainsi au “débat citoyen” voulu par le président de la République, je vous prie d’accepter mes respectueuses salutations.
C.C. »
«Je réside depuis plus de quatorze ans à Saint-Étienne-la-Geneste. Le calme et la qualité de vie sont les atouts indispensables pour bien vivre. Mais, il y a toujours un “mais”. Pour mériter ce bien-être, il faut payer et maintenant nous le payons cher. En effet, la désertification des services publics entraîne et nous force à prendre la voiture pour un oui ou pour un non. Pour faire simple, le premier bureau de poste (ouvert que le matin) est à 10 km aller-retour ainsi que l’épicerie. Pour faire les grosses courses, nous devons faire plus de 30 km aller-retour, pour les stations essence c’est la même chose. Les médecins sont également à plus de 30 km aller-retour ainsi que les pharmacies et certains spécialistes. Sinon il faut aller à Tulle, à Brive, à Clermont-Ferrand ou même Limoges. Le pire, c’est l’ophtalmologiste qui prend assez vite “trois mois d’attente environ” et l’on doit aller dans le Cantal. Et en plein hiver, c’est dangereux et contraignant. L’hôpital le plus proche est à 30 km sinon c’est également dans les grandes villes, situées entre 100 et 150 km.
Vous comprendrez qu’avec un litre de carburant à plus de 1,60 euro, les déplacements coûtent chers alors nous sommes contraints de les limiter au détriment des sorties et des balades dans le département. Pour le chauffage, c’est pareil. Nous avons fait installer une chaudière au fioul qui date de quatorze ans et qui marche très bien, donc aucune possibilité de changer par manque de moyens et surtout pourquoi changer un appareil qui marche ! Je sais que nous sommes dans un système de consommation à outrance mais c’est aberrant d’être obligé d’investir alors que nous avons des difficultés pour finir les fins de mois.
Les fins de mois, parlons-en. J’ai travaillé une grande partie de ma vie avec trois enfants à la maison. Pour des raisons médicales, j’ai été obligée de travailler à temps partiel quelques années. Puis je suis tombée malade, je recevais des indemnités à hauteur de 50 % de mon dernier salaire donc 557,70 euros brut mensuel, soit 521,40 euros net donc une retenue de 36,30 euros soit 6,51 % (RDS et CSG). Après plusieurs mois et plusieurs contrôles du médecin-conseil, celui-ci m’a mis en invalidité et je reçois une pension de 714,91 euros brut soit 649,86 euros, donc une retenue de 65,05 euros soit 9,01 % (CSG, contribution règlement de la dette, contribution solidarité à l’autonomie). Comment vivre avec cette aumône ? Si vous avez des solutions, je suis preneuse car je ne suis pas la seule dans ce cas.
Votre peuple souffre, les actifs, les retraités, les malades, les personnes en situation de handicap, les chômeurs, les SDF… Comment au XXIe siècle peut-on avoir de telles situations de pauvreté dans un pays “riche” qui culpabilise les demandants en brandissant la hausse de la dette du pays ? Et oui, si nous endettons le pays c’est de notre faute. Marche et tais-toi ! Et bien non monsieur le Président, il va falloir une refonte du système et ne pas privilégier toujours les mêmes, ceux qui se gavent et qui en redemandent encore et encore. Nous voulons juste vivre correctement et si notre pouvoir d’achat augmente, le pays s’en trouvera bien mieux car nous consommerons comme tout le monde, ce qui créera des emplois et des dividendes pour l’État. C’est pas compliqué à comprendre quand même. Un peu de reconnaissance n’est pas trop demandé, je pense. Alors oui, je soutiens les gilets jaunes qui défendent les intérêts de tout votre peuple. »