Les éoliennes tournent au ralenti dans l’aube poussiéreuse du parking qui fait face au Relais 20. Au nord d’Orléans, c’est un arrêt bien connu des chauffeurs routiers qui font la pendule entre le nord et le sud de la France, à l’image de Sylvain Letang, qui y a dormi sur le chemin de la région parisienne. La grande étendue de terre, lacérée chaque jour par les pneus des poids lourds, se vide aux toutes premières heures du jour. Les chauffeurs veulent profiter du calme matinal de la route pour passer l’Île-de-France, ou rouler vers le Sud sans se retrouver dans un essaim de voitures individuelles, fébriles à côté des 44 tonnes décidés qui règnent sur la voie de droite.
Après une douche et un petit-déjeuner, le chauffeur paisible des Transports Briche, parti de Limoges la veille, reprend la route en direction de la région parisienne. Il doit aller livrer quelques palettes de vinaigrette chez Monoprix, dans le tentaculaire réseau d’entrepôts de Garonor situé à Aulnay-sous-Bois, le long de l’autoroute A1. Puis il ira finir de vider son camion chez Legrand, qui a installé sa plus grande plateforme logistique mondiale à Verneuil-en-Halatte, au-dessus de Creil. Il repartira ensuite charger une cargaison avant de redescendre en direction de Bordeaux.
C’est une journée comme tant d’autres pour Sylvain Letang. « À peine huit heures de conduite, c’est peu. Pour moi, c’est comme si je n’avais pas roulé, explique-t-il. C’est pas comme aller à Toulouse dans la journée, faire 750 km en dix heures. » Ce serait alors flirter avec la législation sur le temps de repos. Un chauffeur peut aujourd’hui, en France, conduire neuf heures par jour interrompues par un repos de 45 minutes au bout de 4 h 30, mais il peut aussi pousser jusqu’à dix heures deux fois dans la semaine, à condition de prendre dans la foulée onze heures de repos ininterrompu. Et encore, ceci, c’est la version simplifiée des textes en vigueur, qui semblent avoir été écrits par un docteur en physique nucléaire et exigent chaque jour une gymnastique intellectuelle savante de la part des chauffeurs, afin de gérer au mieux leur temps de conduite, les enlèvements et livraisons de marchandises et le repos minimum exigé. D’autant que les camions sont équipés d’un mouchard appelé chronotachygraphe, qui enregistre leurs mouvements, leurs immobilisations et leur vitesse et peut être contrôlé sur la route ou dans les locaux de leur entreprise.
Conduire un poids lourd est ainsi un métier beaucoup plus technique qu’il n’y paraît, et rien ne va se simplifier après le vote du « paquet mobilité » qui arrive tout juste au Parlement européen, après quasiment trois ans de consultations, discussions, engueulades en douze langues, et pressions diverses sur la Commission de Bruxelles.