Plus d’un mois désormais que la SNCF demeure peu ou prou paralysée par la grève contre la réforme des retraites et la mort programmée de son régime spécial (lire l’épisode 4, « Retraites : les cheminots pratiquent l’espoir de combat »). Ce mardi, après des semaines d’une partie de bonneteau autour de l’âge pivot (tu le vois, tu le vois plus), gouvernement et syndicats se réunissent enfin pour parler méthode, « compromis » (le mot est d’Emmanuel Macron lors de ses vœux) de fins de carrière et de pénibilité. À la SNCF, Michel en connaît un rayon sur la pénibilité, celle qui esquinte une partie des agents et les relâche broyés en fin de carrière. Ce quadra au visage rond travaille aux infrastructures, sur les chantiers de maintenance des voies d’Île-de-France. « Un environnement où il faut être fort », décrit-il, dans le corps comme dans la tête. Les rails et les équipements électriques exigent une attention de chaque instant. « Quand il pleut, quand il neige, comme en pleine canicule, c’est à nous de nous assurer que les trains peuvent circuler. »
Les tableaux de service dictent une valse folle entre travail de jour, de nuit et astreintes du week-end. « Vous ne faites que croiser Madame et les enfants. Beaucoup de collègues divorcent », souffle Michel, avant de dresser l’inventaire des risques auxquels il s’expose : « On respire la silice du ballast, on travaille dans les tunnels, en environnement confiné. Marcher huit heures le long des voies en chaussures de sécurité, entre les nids de poule et la végétation, bousille les genoux. » Passer ses journées sur les rails, c’est aussi sentir rôder un danger mortel. « On dit que quand vous entendez un train, c’est déjà trop tard, assène Michel. Et l’électricité est partout, il faut faire attention où l’on met les pattes. Vous pouvez vous trouver dans l’arc électrique sans même toucher une caténaire. » Avec jusque 25 000 volts au-dessus de la tête, « on peut mourir d’une châtaigne ».
Il fût un temps où les cheminots de « l’infra » trouvaient des contreparties à ce dévouement. Le travail en « brigade », avec la solidarité qu’il impliquait. La fierté, aussi, de se sentir indispensable à la prévention des catastrophes ferroviaires. Des compensations immatérielles que nombre d’entre eux disent voir disparaître. Rattachés à SNCF Réseau, l’un des établissements de la SNCF converti en société anonyme depuis le 1er janvier, les cheminots ne sont plus seuls à émailler les voies de leur silhouette orange fluo.