À Nantes, « la justice est mal rendue »

À Nantes (Loire-Atlantique)

Posé sur le quai François-Mitterrand, le palais de justice de Nantes est une boîte noire. Littéralement. Les murs, les bancs, les poutres : noirs. Les salles d’audience, elles, sont couleur sang. Rouges du sol au plafond en passant par les bancs en bois. Mais dans la boîte noire, les décisions rendues doivent, elles, être transparentes. En préparant cette série, mes interlocuteurs spécialistes de la justice pénale ont cité Nantes comme une juridiction où les prévenus ont le temps d’être entendus par le tribunal, en longueur. Ainsi Virginie Gautron, docteure en droit pénal à l’université de la ville : « Je sais que les magistrats y prennent davantage de précautions avec la procédure de comparution immédiate et peuvent très bien passer une heure trente sur un dossier. On prend le temps de juger ce type d’affaires. Mais tout cela change selon la personnalité du procureur, selon les juges du siège, la culture décisionnelle locale. À Nantes, ils ont toujours été plus réservés. Les renvois et relaxes sont plus faciles. Ça envoie des messages subliminaux aux parquets pour leur dire d’arrêter de tout envoyer en comparution immédiate. »

En entrant dans la salle vermillon, le 22 mars 2022, voilà donc à quoi Les Jours s’attendent : un examen minutieux des dossiers, des affaires renvoyées pour davantage préparer la défense, des peines légères. 14 h 10 – presque à l’heure –, la sonnerie retentit. Un seul juge s’installe. Les comparutions immédiates ont toujours lieu devant une collégiale de trois juges. Quelque chose cloche. Le premier dossier est renvoyé. Le prévenu, poursuivi pour avoir forcé la portière d’une voiture et volé un sac à main à l’intérieur, n’est pas présent. Ce n’est pas la raison pour laquelle on ne discutera pas du fond de son dossier. Un quiproquo bloque la procédure : la présidente du jour était auparavant juge des libertés et de la détention et c’est elle qui avait placé l’homme sous contrôle judiciaire, le temps qu’il prépare sa défense. « Il y a une incompatibilité stricte dans le Code de procédure pénale. Quand un juge intervient dans un dossier, il ne peut pas le juger ensuite », explique son premier assesseur à la victime. L’homme dont la voiture a été fracturée il y a déjà cinq mois s’est encore déplacé pour rien.

Premier dossier, premier aveu de faiblesse. Le tribunal de Nantes est l’un de ceux où les manques de moyens sont particulièrement criants, alors même que le nombre d’affaires ne cesse d’augmenter