Devinette : comment peut-on être à la fois l’assistant personnel de Dries Van Noten, célèbre styliste belge, celui de Bernard Arnaud, l’homme le plus riche du monde, et steward chez Emirates Airlines, le tout en 2014 ? Plus difficile : comment faire pour être le gestionnaire d’actifs de Rama X, le roi de Thaïlande dont le magot est estimé à 66 milliards d’euros, l’assistant de direction de Jonathan Harmsworth, magnat britannique des médias, mais aussi le bras droit du PDG d’Asmodee, premier éditeur de jeux de société en France, et tout ça en 2019 ?
C’est en fait assez simple : il suffit d’avoir plusieurs CV, tous bidonnés dans les grandes largeurs. Dans cette discipline, Cory Le Guen est le champion toutes catégories. Mais la pratique de cet exercice n’est pas sans risques. Celui qui a été expertisé « menteur pathologique » avec « tendance compulsive à l’affabulation » après s’être fait passer pour le neveu de Brigitte Macron l’a appris à ses dépens le 9 mars 2023. Ce jour-là, il est condamné à huit mois de sursis ainsi qu’à verser 28 125 euros de dommages et intérêts à une entreprise libanaise à qui il avait fourni en 2015 un CV truffé de bobards pour décrocher un job payé 75 000 euros par an (lire l’épisode 3, « “Comment avez-vous eu cette idée de vous inventer cette vie qui n’était pas la vôtre ?” »). « Ça date de 2015, il y a huit ans », s’agaçait-il sur X (ex-Twitter) au lendemain de cette dix-neuvième condamnation, dégainant une fois de plus sa sacro-sainte « réhabilitation » que les journalistes lui refuseraient. Sauf que Cory Le Guen, qui n’a pas répondu à nos questions, n’a jamais arrêté de jouer au faussaire.
Les Jours ont récupéré pas moins de quatre CV, tous différents, tous mensongers et tous envoyés après 2015 à divers employeurs au gré des postes convoités par le bientôt quadragénaire. Sur l’en-tête du premier, utilisé au moins jusqu’en 2017, Cory Le Guen se présente comme « assistant personnel privé itinérant de M. Bernard Arnault », en anglais dans le texte. Sur celui du deuxième, façonné en 2020, il se propulse « chef de cabinet », sans que l’on sache bien de qui. Sur la photo accompagnant cet intitulé pompeux, le multirécidiviste pose dos au Colisée romain, les yeux rivés sur l’horizon. Pour son troisième CV, édité en 2022, il devient plus sobrement « journaliste ». Et, preuve supplémentaire que ses magouilles n’ont pas cessé, le quatrième document obtenu par Les Jours a été concocté par ses soins il y a quelques mois à peine.