Ils sont les oubliés des plans sociaux. En sociologie du travail, on les appelle « les survivants ». Ce sont ceux qui restent dans l’entreprise après une « restructuration » (terme policé pour désigner une suppression collective d’emplois). Chez SFR, après un plan de 5 000 suppressions d’emplois en quelques mois, ces « survivants » sont aujourd’hui un peu moins de 10 000. Ils travaillent dans une entreprise brutalement amputée d’un tiers de son corps social. Avec, pour beaucoup, une conséquente et mathématique surcharge de travail. Certains ont vu des relations proches, parfois des amis, partir. La plupart ont dû changer de bureau, de lieu de travail et, parfois, de métier. Certains ont été externalisés vers des filiales, ils appartiennent encore au groupe Altice mais plus à SFR. D’autres encore, qui avaient choisi de rester, viennent d’apprendre qu’ils vont être « vendus », parce que Patrick Drahi a finalement décidé de se délester de leur secteur d’activité.
Le terme « survivants » peut pourtant paraître d’une violence excessive, surtout dans le cadre d’un plan de départs volontaires comme celui de SFR, où ceux qui sont partis sont censés l’avoir fait volontairement. Donc ceux qui sont restés aussi. Le terme a été inventé par des sociologues aux États-Unis, là où les plans sociaux sont gérés de façon plus violente et nettement moins indemnisés qu’en France. Cette terminologie de « survivants » est cependant communément utilisée en Europe, peut-être parce que les syndromes identifiés chez ces salariés – culpabilité, sentiment d’insécurité, colère ou, au contraire, soulagement – demeurent à des degrés différents à peu près les mêmes, y compris dans le cadre de plans de départs volontaires. Après ces mois d’enquête auprès des salariés et ex-salariés de SFR, ces quatre sentiments me paraissent en effet étrangement familiers.

Florent Noël, enseignant-chercheur à l’IAE de Paris, qui travaille sur la gestion des restructurations d’entreprises, utilise, lui, la terminologie plus neutre de « partants » et de « restants ». Il note d’ailleurs qu’il est difficile d’identifier qui sont réellement les « victimes » dans le cas de plans de départs volontaires comme celui de SFR. En discutant avec les partants et les restants (je vais conserver ces deux termes) de cette entreprise, il apparaît en effet que la frontière entre ceux qui subissent la restructuration et ceux qui s’en sortent indemnes, voire gagnants, est difficile à tracer.