Paléoclimatologue, Valérie Masson-Delmotte étudie les climats passés, mais elle se penche aussi au quotidien sur son évolution future. Confinée chez elle dans un village de l’Essonne, elle poursuit en effet son travail de coordination de 230 chercheurs du monde entier pour aboutir au sixième rapport du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), prévu pour l’an prochain. Telle est sa mission depuis 2015, en tant que coprésidente du groupe 1, qui expertise les travaux existant sur le fonctionnement « physique » du climat. Aujourd’hui, cette grande voix de la discipline s’inquiète des fragilités révélées par la pandémie de Covid-19 et de ses conséquences pour la lutte contre le changement climatique.
Quels sont à vos yeux les points communs entre cette crise sanitaire et la crise climatique ?
Pour moi, elles sont profondément différentes, mais on peut trouver des intersections entre elles. Dans le cas de cette zoonose (maladie infectieuse qui se transmet de l’animal à l’homme, ndlr), il y avait des éléments de connaissance disponibles, identifiés par les spécialistes de la biodiversité, dont l’augmentation de l’émergence de ces maladies depuis une vingtaine d’années avec des facteurs comme le commerce de la faune sauvage, l’élevage industriel, l’urbanisation et la mondialisation des échanges (lire l’épisode 4, « Coronavirus : un battement d’aile de chauve-souris… »). Ce qui est frappant, c’est que malgré un constat clair nous n’étions pas prêts à gérer une crise sanitaire de cette envergure. Cette crise de santé publique révèle tout un ensemble d’inégalités et de vulnérabilités : ceux qui continuent à travailler sont, par exemple, exposés sans la moindre possibilité d’être protégés faute de stocks suffisants de masques et d’équipements. Tout cela révèle une absence de gestion des risques par anticipation. Nous sommes dans une situation inédite qui révèle beaucoup de fragilités dans la façon dont notre développement a été construit. Par ailleurs, on constate la difficulté à prendre des décisions devant le manque de connaissances sur ce virus.

À l’inverse, les enjeux sur le changement climatique sont connus depuis la fin des années 1970. Nous disposons d’un socle de connaissances solide, mais pas encore compris, partagé, transmis, ni intégré par l’ensemble de la société. Même si l’on vit de plus en plus avec des conséquences observables par chacun : des vagues de chaleur plus fréquentes (lire