Frappant sur les vitres d’un bureau de vote, des partisans de Donald Trump tentent d’interrompre un dépouillement en cours à Détroit, dans le Michigan, État remporté par son rival Joe Biden, aux cris de « Stop the count » (« Arrêtez le décompte »). C’est sans doute l’une des images de la présidentielle 2020 aux États-Unis qui restera. Celle d’un basculement. Un basculement tout le long de cette journée folle et historique du 4 novembre (lire l’épisode 28, « Le jour le plus long de l’Amérique »), qui verra probablement le démocrate Joe Biden être élu président des États-Unis, puisqu’au moment où nous écrivons ces lignes et selon Associated Press il atteint les 264 grands électeurs, très proche de la majorité des 270.
Cette journée avait commencé par deux autres images, diamétralement opposées, qui ont scandé le début et la fin de la nuit électorale du 3 novembre. La première montre un président Trump serein, affirmant au téléphone dans son émission fétiche Fox and Friends au début du scrutin qu’il jouera le jeu, qu’il ne se déclarera vainqueur qu’une fois gagnant dans les urnes, semblant promettre un respect des dépouillements allongés cette année par la généralisation du vote par correspondance (lire l’épisode 17, « Présidentielle : le report de l’angoisse »). La seconde, au bout d’une soirée électorale folle où sept États-clés n’étaient encore attribués à aucun des deux candidats, voit un Donald Trump rubicond et furieux déclarant qu’il a gagné, que les démocrates tentent de lui voler l’élection, qu’il en appellera à la Cour suprême pour arrêter le comptage des bulletins dans ces États disputés (lire l’épisode 26, « “Swing states”, ça balance pas mal aux États-Unis »).
Historiquement inédite, la seconde déclaration, énervée, de Donald Trump n’a rien de surprenant. Le recours ultime à la Cour suprême, sur laquelle il a mis la pression à chacun de ses derniers meetings (ou presque) en Pennsylvanie, a été l’aboutissement d’une stratégie résolue et organisée de déstabilisation du vote par correspondance (lire l’épisode 20, « Trump, comme une alerte à la poste »). Donald Trump a en effet très vite compris le parti qu’il pourrait tirer de l’extension de ce système pour cause de Covid-19. Alors que jusqu’en 2016 il était encore conditionné à une justification, limitant son recours, la pandémie a amené 45 des 50 États à le libéraliser, entraînant un afflux exceptionnel de votants anticipés.