Stromae, Multitude (Mosaert/Polydor, 2022)
Paul Van Haver, alias Stromae, occupe depuis Bruxelles un espace intéressant dans la musique de notre époque et il faut aller le voir sur scène où cela saute aux yeux. Car, dans son public, il y a tout le monde : des familles entières avec enfants, des ados en groupe, des jeunes adultes en couple, des quinquas et plus. C’est le très grand public de la chanson, celui de la radio et de la télé réunies, le même que l’on croise chez d’autres très gros vendeurs de la musique. Mais sur scène, Stromae et ses musiciens balancent une musique qui secoue bien plus que prévu, des rythmes maximalistes qui ne sont pas ceux de toute la musique, loin de là, à un volume qui tient plus de la scène électronique que de la chanson. Cette musique remuante et inventive n’est pas celle que viendrait entendre ce public-là si elle n’était pas habitée par Stromae, son cynisme accueillant et ses chansons faites de vers d’oreille empilés et d’histoires de famille.
Multitude, son troisième album après huit années d’absence contre son gré, prolonge sans forcer cet équilibre bizarre qui fait que Stromae connaît un succès populaire évident tout en étant crédible artistiquement au-delà de sa sphère musicale. On a même l’impression que ces années ne sont jamais passées, à entendre ce disque qui est une continuité assombrie de Racine carrée, sorti en 2013, qui a fait de Stromae l’une des plus grandes stars francophones de la musique. Alors que, dans la foulée de ce disque et de sa tournée ébouriffante, le poly-artiste (tel un Xavier Dolan de la chanson, il s’occupe de tout, de la musique aux clips) a enchaîné les vilaines conséquences d’un traitement antipaludisme et une dépression qui, un temps, l’a fait douter de sa capacité à revenir à la composition. On le voyait alors dans de rares interviews, moribond et empâté. La musique semblait l’avoir quitté. C’est le sujet de L’Enfer, le morceau avec lequel il est venu se moquer de la légèreté de la rédaction du journal télévisé de TF1, qui lui a offert sur un plateau l’occasion de transformer une séquence d’information en clip millimétré devant la moitié de la France. Dans cette chanson, Stromae aborde sans grand détour littéraire cette maladie qui lui a mangé le moral et l’envie, allant jusqu’à aborder les rivages du suicide, et ce n’est perdu pour personne. On l’a écrit