
Lana Del Rey, Norman Fucking Rockwell! (Lana Del Rey/Universal, 2019)
Lana Del Rey a toujours fantasmé la Californie. Dès le premier clip qui l’a rendu célèbre en quelques jours en 2011, celui de Video Games, elle a déployé une esthétique faite d’images d’Épinal de la côte pacifique : images furtives de Sunset Boulevard, de la colline d’Hollywood, des piscines et des skaters, de roulements de l’océan… volées sur internet et assemblées dans un puzzle abstrait.
Norman Fucking Rockwell!, le cinquième album d’Elizabeth Grant sous le pseudonyme de Lana Del Rey, est la réalisation de ce fantasme californien. La réponse, huit ans plus tard, d’une femme qui a réalisé une bonne partie de ses rêves et regrette l’époque où elle pouvait « ne rien faire » à une jeune femme qui, au moment de Video Games, jouait le tout pour le tout après plusieurs albums avortés. Entre les deux, Lana Del Rey a vendu des millions de disques et quitté New York, où elle a vécu toutes les expériences qui l’ont construite, pour Los Angeles. Pour rejoindre des musiciens amis et surtout vivre enfin son rêve d’un monde de soleil, de palmiers et de surf après la sieste.
Mais ce disque est aussi un effacement de ses prédécesseurs, un recommencement. Finis les invités clinquants (The Weeknd, A$AP Rocky) chargés dans Lust for Life (2017) de courir après une culture hip-hop qui la nourrit musicalement mais qui a fini par encombrer ses chansons. À la place, Norman Fucking Rockwell! fait le vide, joue l’épure : la voix de Lana Del Rey, toujours aussi douce et nonchalante, est posée sur des orchestrations faussement économes (piano, cordes, batterie noyée sous les vagues, de rares artifices vocaux) qui évoquent surtout la pop foisonnante de la côte Ouest des seventies (Beach Boys circa Surf’s Up, Love, Joni Mitchell…) dans une version étouffée, un souvenir brumeux.

Les choix musicaux du disque ont aussi le mérite de ne jamais avaler le texte, de ne jamais forcer l’oreille de l’auditeur par des effets de manche. C’était l’un des défauts des albums précédents, qui versaient dans la démonstration. On se rend compte à quel point l’écriture de Lana Del Rey est désormais affinée, qui se fabrique fréquemment (California, Venice Bitch, The Greatest, les sommets du disque) en litanies qui s’enroulent sur elles-mêmes, souvent au-delà des cinq minutes, au mépris de toutes les règles sur l’efficacité à l’ère du streaming.