
Loyle Carner, Hugo (Universal Music Operations, 2022)
C’est une position délicate que celle de Loyle Carner dans le paysage du rap britannique, où il occupe le rôle du bon gars depuis son émergence en 2017 avec Yesterday’s Gone. Un album plein de couleurs soul et jazz, avec une photo souriante de sa famille élargie en guise de pochette. C’était aussi un disque plus sombre et profond qu’il n’en avait l’air, mais pas du tout un album pour secouer la musique de son temps. Loyle Carner se tenait sereinement éloigné du tourbillon électronique du grime comme des productions plus ambitieuses d’Inflo (lire l’épisode 69, « Sault et The Masked Marauders, les bails masqués ») pour Little Simz et d’autres, pour dérouler un rap fortement marqué par le boom bap (lire l’épisode 122, « Benjamin Epps et Mobb Deep : leur cœur fait boum bap ») des années 1990 et les samples soulful épais hérités des producteurs américains à peine plus tardifs comme Madlib et J Dilla.
Un album plus tard (Not Waving, But Drowning, en 2019) et une crise sanitaire mal traversée par un royaume déjà passablement en vrac, le gamin de Croydon, dans le grand Sud de Londres, réapparaît aujourd’hui pour ajuster les curseurs dans Hugo, qui est très nettement son meilleur album. À 28 ans, Benjamin Gerard Coyle-Larner de son vrai nom semble avoir arrêté de tourner autour de ses névroses et s’attaque, pièce par pièce, aux sujets qui l’empêchaient jusqu’ici d’être pleinement lui-même. Soit un Britannique métis élevé par sa mère blanche et son beau-père tout aussi blanc, dans une culture où sa couleur de peau et la culture de son père biologique absent, reparti au Guyana, ont été comme effacées. C’est comme si, pendant toutes ses années d’enfant et d’ado, Loyle Carner avait toujours manqué d’un bout de son puzzle personnel, dit-il dans ses interviews. Sa mère, notamment, n’a jamais pu lui apprendre les mille recoins de la culture noire britannique (son importance ne serait-ce que dans la musique, la colonisation…), ce qui l’a obligé à tout se prendre tout seul dans la figure.

Jusqu’à ce qu’un enseignant lui lance, « comme un fait », à lui, l’un des seuls gamins noirs de son école : « Tout ce que tu peux faire quand tu es noir, c’est jouer au basket ou peut-être du rap. » C’est une phrase-clé qui apparaît dans Hate, le puissant titre qui ouvre Hugo et a été le déclencheur de tout ce troisième album plus sombre et bien plus conscient que ses prédécesseurs.