
Hildur Guðnadóttir, Bande originale du film Women Talking (Orion/Universal Music, 2022)
Est-ce que l’on peut aimer et comprendre une bande originale de film sans avoir vu le film lui-même ? C’est un vieux débat réactivé ces dernières semaines par la musique d’Hildur Guðnadóttir pour le long métrage Women Talking de Sarah Polley. Je n’ai pas encore vu le film, mais la meilleure des réponses à cette question irrésolue, c’est que j’en ai davantage envie chaque fois que j’écoute la BO de la compositrice islandaise.
Si vous êtes allergique aux bandes originales, au cinéma ou aux séries, rappelons qu’Hildur Guðnadóttir, 40 ans aujourd’hui, est l’une des grandes musiciennes pour l’image de notre époque, multi-récompensée à juste titre pour son travail pour la série Chernobyl, les films Joker et plus récemment Tár. En parallèle, celle qui est avant tout une violoncelliste aventureuse a aussi publié une série d’albums solo délicats tout en travaillant avec toute la scène nordique de qualité (Jóhann Jóhannsson, Valgeir Sigurðsson, The Knife, Múm), le metal abstrait de Sunn O))) (lire l’épisode 113, « Anna von Hausswolff, orgue et préjugés ») ou le compositeur contemporain américain Nico Muhly. Beaucoup de noms pour dire à quel point Hildur Guðnadóttir se promène avec maîtrise entre les genres, ce qui lui permet depuis quelques années d’apporter une vision renouvelée de la musique de film qui évite les grandes envolées orchestrales pour chercher une tension au niveau du sol, à l’aide de quelques instruments choisis autour de son violoncelle.
Dans cette démarche, sa musique pour Women Talking est un aboutissement remarquable, chargée d’éclairer un film qui aborde un « sujet extrêmement sensible, difficile et émotionnel », comme l’a dit la compositrice dans une récente interview. Soit l’histoire, vraie mais partiellement fictionnée et transposée quelque part aux États-Unis, d’une communauté ultraconservatrice mennonite perdue en Bolivie, où plus de 100 femmes et enfants ont été violées après avoir été droguées par des hommes de la communauté entre 2005 et 2009. Pour raconter ce sujet insoutenable, Sarah Polley évacue les viols et la violence de l’image pour se concentrer sur la mise en action des femmes, qui avancent difficilement vers la dénonciation de ces crimes qu’elles voient dans un premier temps comme un message divin. Hildur Guðnadóttir a traversé le même chemin vis-à-vis de l’histoire, pour trouver l’équilibre de sa partition.