Chaque semaine, « Les Jours » chroniquent des disques en miroir. Aujourd’hui, la musique venue des faubourgs tanzaniens inonde le monde.
Épisode n° 174
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TexteSophian FanenPhotosModern Matters et Sophie Garcia/Hans Lucas
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MC Yallah, Yallah Beibe (Hakuna Kulala/Modulor, 2023)
Il aura fallu du temps à la rappeuse ougandaise MC Yallah pour réussir à se faire entendre et publier enfin ce premier album, Yallah Beibe, après presque vingt-cinq ans de carrière pleins de hauts et de bas. Mais ces chansons ont profité de ce temps long pour trouver un équilibre difficile entre le rap ultrarapide de Yallah Gaudencia Mbidde et des musiques capables d’exister au-delà de ce perpétuel exploit technique. Aujourd’hui, ce premier long format surprenant et stimulant, serein derrière sa façade colérique, vient confirmer son statut de vétérane de la scène de l’Est africain jusqu’en Europe.
MC Yallah a commencé à rapper en 1999, à une toute autre époque. C’était les débuts de l’internet pour tout le monde à Kampala, la capitale de l’Ouganda, où elle a grandi dans une famille venue du Kenya voisin. Le rap ougandais se faisait alors avant tout sur des productions piquées aux tubes américains de l’époque – Jay Z, 2Pac, Notorious BIG, le Wu-Tang. La musique était souvent convenue, mais Yallah se faisait déjà remarquer par sa capacité à rapper à une vitesse dingue dans plusieurs des langues de la région – kiswahili, luganda, luo, voire anglais. Elle a connu quelques succès régionaux dans cette première partie de sa carrière, avant de disparaître quelque temps pour des raisons familiales qu’elle n’a jamais détaillées. Quand elle a refait surface en 2008, c’était pour tout recommencer ou presque. Facebook et le mp3 étaient passés par là et la musique ougandaise avait beaucoup avancé sans elle, absorbant des genres traditionnels comme le taarab tanzanien pour les accélérer avec des logiciels piratés en ligne. Elle avalait au passage les rythmes frénétiques de la scène sud-africaine, bien plus au sud, qui explosait alors comme une comète à l’international autour de DJ Mujava et DJ Spoko. MC Yallah, elle, était déjà une vieille rappeuse un peu oubliée, mais elle a trouvé un chemin de traverse pour se faire entendre : une émission de télévision nommée NewzBeat, où des présentateurs et présentatrices rappaient l’actualité à destination des plus jeunes toujours plus loin de la vieille télé.
MC Yallah
— Photo Modern Matters.
C’est là qu’elle a croisé un jour Derek Debru, cofondateur du label ougandais Nyege Nyege, lancé en 2013 avant de devenir plus tard un festival.