Tina Turner, River Deep, Mountain High , tiré de l’album River Deep, Mountain High (A&M Records, 1967)
Ce 7 mars 1966, Tina Turner est prête à changer de vie, enfin, quand elle arrive aux Gold Stars Studios de Los Angeles. Depuis deux semaines, elle répète une seule chanson qui l’obsède parce qu’elle sait qu’elle est importante, puissante, rare. Elle s’appelle River Deep, Mountain High et rien que le titre résume sa vie faite de très hauts et très bas. Celle d’Anna Mae Bullock, née en 1936, gamine sans avenir de Nutbush, Tennessee, fille de paysans absents réfugiée dans le gospel puis les clubs du rock and roll noir naissant. C’est là qu’elle rencontre le guitariste Ike Turner, qui propulse alors ses Kings of Rhythm et un défilé de voix interchangeables. La jeune Anna Mae sait qu’elle peut faire mieux qu’elles et, à force de squatter les bords de scène, finit par y monter comme choriste, puis par saisir sa chance un jour où la chanteuse des Kings of Rhythm n’arrive pas pour une session d’enregistrement en studio.
C’est elle qu’on entend sur A Fool In Love, tube soul et rock grondant de 1960, le premier publié par le désormais couple Ike & Tina Turner, où elle surgit avec une maîtrise déjà confondante. La suite a été écrite mille fois : un enchaînement de succès à travers les années 1960 et la révélation d’une tornade scénique qui prend toute la place devant le stoïque Ike Turner et ses choristes, les Ikettes. Mais les coulisses du succès sont glauques