
Dengue Dengue Dengue, Zenit & Nadir (Enchufada, 2019)
Si vous n’avez pas traversé les années 1980 en France, vous avez peut-être une chance d’avoir échappé à La Colegiala (« l’écolière »), gigantesque tube de cumbia colombien devenu « la musique de la pub Nescafé avec le train ». Sur fond de paysages andins et de petits paysans sympas, le spot essayait de nous faire croire qu’il y a vraiment du café dans le Nescafé, mais il aura au moins réussi à projeter le rythme de la cumbia à travers le monde entier, un style musical passionnant qui a, dans la foulée, été largement documenté par une série de compilations à destination des auditeurs d’Europe et d’Amérique du Nord.
C’est aussi à ce moment-là que, timidement dans un premier temps, la cumbia a changé d’époque en Colombie comme au Pérou, où elle existait pourtant depuis des décennies. Mais cette musique, née des rythmes arrivés d’Afrique avec les esclaves puis mêlée d’instruments indiens et espagnols, fut longtemps celle des pauvres. Des mineurs noirs de la côte et des villages des montagnes quand les grandes villes rêvaient de pop américaine.
Depuis les années 1980, la cumbia connaît ainsi une seconde jeunesse, voire une troisième depuis le début des années 2010 avec l’émergence de musiciens qui en jouent une version électronique, de la Colombie à l’Argentine. Au sein de cette vague, l’un des groupes les plus systématiquement passionnant est Dengue Dengue Dengue, venu de Lima au Pérou et formé par le duo Felipe Salmón et Rafael Pereira, auxquels viennent s’ajouter des vidéastes, graphistes et musiciens selon les besoins des enregistrements et de la scène.

Débarqué en 2012 avec La Alianza profana, un premier album remarquable qui prenait l’explosion digital cumbia à contre-pied avec un son noir et lent, Dengue Dengue Dengue continue à avancer là où on ne l’attend pas forcément avec son nouveau long format Zenit & Nadir tout juste sorti. Pour ce troisième album, le duo est allé à reculons en partant sur le terrain rechercher des musiciens qui font vivre les musiques afro-péruviennes depuis des décennies. C’est notamment le cas de la famille Ballumbrosio, dont le patriarche puis les fils ont entretenu le zapateo, une sorte de claquettes mêlées de percussions parfois jouées sur des gencives d’âne (oui, carrément). La famille traverse tout ce disque aux rythmiques organiques qui s’intègrent parfaitement à l’univers électronique de Dengue Dengue Dengue.