
Isha, La Vie augmente, vol. 3 (Zone 51/Parlophone)
Et dire que les plateformes de streaming ont décidé que l’album ne sert plus à rien, qu’on a (à nouveau) basculé dans un monde musical où règne le titre, le single (lire l’épisode 17 de La fête du stream). Isha, rappeur belge de Bruxelles, en a pourtant sorti trois en trois ans, des albums ; et des vrais. Une trilogie nommée La Vie augmente, qu’il a commencée en 2017 et qui vient de se refermer avec un Volume 3 impérial. La musique se moque bien du format qui la transporte tant qu’elle a du sens.
Isha, c’est le grand frère de la scène rap belge qui n’en finit pas d’exploser depuis trois ans autour de Damso ou de Roméo Elvis. Lui reste dans l’underground, mais sa musique pèse parce qu’elle a vécu beaucoup de choses avant de trouver une certaine sérénité, presque une sagesse. Alors tout le monde le lui rend bien dans cette nouvelle scène plus ou moins solidaire : Hamza, JeanJass ou Roméo Elvis lui-même le citent souvent comme influence, offrant au posé Isha un peu de la lumière qu’il semble poursuivre et fuir en même temps depuis douze ans.
Isha Judd, né à Bruxelles de parents venus de République démocratique du Congo, s’appelait PSmaker à ses débuts avortés. Un album en 2008, quelques featurings et puis rien. Non seulement c’était encore dur de faire du rap en Belgique dans ce creux artistique de la fin des années 2000, mais surtout, Isha était bien décidé à détruire sa vie. À mourir avant 25 ans, comme il le raconte frontalement dans une interview façon psychanalyse. Dans ces années 2000 tardives, Isha se soumet à l’alcool et à la rue, se fait poignarder par un de ses meilleurs amis dans une bagarre, voit ses parents se séparer puis son père mourir, galère avec son propre fils et sa vie en général. Puis il se tourne vers son « dieu », s’appuie sur sa croyance pour passer à autre chose. Isha a perdu près de dix ans mais sa musique y a gagné beaucoup. Nous aussi.

En 2017, il fait son retour un peu inespéré avec La Vie augmente. L’expression est tirée de La Vie est belle, film important coréalisé par son oncle, Ngangura Mweze, en 1987, où le musicien Papa Wemba chemine dans un récit qui entremêle l’exode rural vers Kinshasa, la naissance d’une nouvelle « musique électrique » et une quête amoureuse. Le disque est raide mais il regarde vers le haut. Isha y convoque sa mère et son adolescence défoncée, raconte surtout son « augmentation » « vitale », sa quête de sa version 2.0.