Fiona Apple et The Pharcyde, boîtes à colère

Fiona Apple, Fetch the Bolt Cutters (Epic Records, 2020)

Voilà peut-être l’album qui symbolisera ce confinement du printemps 2020, ce moment qui a mis l’actualité musicale très largement entre parenthèses, ne laissant passer que des sorties adressées aux plus jeunes – donc aux plus fortement tournés vers les plateformes de streaming –, des albums du monde indépendant et ceux de quelques personnalités qui se moquent bien du jeu médiatique de la musique. Et quoi de mieux qu’un monde confiné pour accueillir le cinquième album de Fiona Apple, une chanteuse qui s’est peu à peu barricadée dans son monde avec ceux qui comptent et sa musique ?

Fetch the Bolt Cutters est un disque qui ne prend aucune pincette pour dire tout ce qu’il a à dire, qui en a fini avec les détours et les hésitations. Comme d’habitude, c’est avant tout une remarquable collection de chansons à textes que Fiona Apple a composées en allant fouiller dans les pages de phrases désordonnées qu’elle gratte depuis son adolescence, cahier après cahier. De ce journal qui ne demande qu’à être cueilli, elle a par exemple tiré une partie du texte de Relay, terrible chanson qui revient sur le viol qu’elle a subi à 12 ans près de chez elle, le noyau bouillant de ses douleurs et interrogations de femme depuis toujours. Mais la posture a désormais changé, car Fiona Apple clame tout au long de ce disque une nouvelle maîtrise d’elle-même, un refus de se laisser pourrir par d’autres – souvenirs insoutenables ou personnalités nocives, tout le monde se retrouve dans le même panier. Et ce mouvement irrépressible a un slogan chez elle : « Fetch the bolt cutters », emprunté à un dialogue de la série The Fall. Va chercher le coupe-boulon meuf, on se casse de cette cage qui nous enferme. On ne va pas se laisser emmerder par les cons. Plus facile à dire qu’à faire : il a fallu à Fiona Apple 42 ans et cinq albums depuis 1996 pour arriver à dire ça aussi fièrement.

Il y a bientôt 25 ans, Fiona Apple est arrivée dans la musique comme si elle avait toujours été là avec Tidal, un premier album né d’une démo de trois chansons que sa vie de fille d’acteurs a vite placé dans de bonnes mains. Un tube plus tard (Criminal), elle était la jeune chanteuse en vue et ses troubles alimentaires se retrouvaient en une de magazines qui n’avaient pas écouté sa musique.