
Moses Sumney, græ (Jagjaguwar, 2020)
Le deuxième album de Moses Sumney, græ, est sorti deux fois. Ses 12 premiers titres en février, les 8 derniers ce mois-ci. C’est une façon d’occuper l’espace en ces temps de frénésie musicale (que le confinement a sérieusement ralenti depuis mars…), et pour lui un cadeau à ses auditeurs. L’Américain voulait leur donner l’occasion de passer du temps avec sa musique, de vivre avec ces chansons complexes mais pleines de récompenses. Il a bien fait, son album a ainsi pu cheminer lentement là où l’avalanche de nouveautés fait zapper trop facilement et ne donne pas toujours sa chance à un disque comme ça.
Et tout cela colle bien avec Moses Sumney, 29 ans aujourd’hui, qui n’a jamais cherché le plaisir immédiat depuis son apparition vers 2014. Son premier album, Aromanticism (2017), qui interrogeait l’idée de la relation amoureuse et la pression sociale qui y est associée, était déjà un dédale de soul avant-gardiste portée par sa voix douce

Cette fois, Moses Sumney disserte sur l’idée de « grayness », la zone grise de toute chose, à commencer par la couleur de la peau et l’orientation sexuelle. Il a expliqué ses interrogations dans une récente interview à la radio américaine NPR : « De nos jours, pour être compris par les autres, il faut simplifier [sa personnalité] et arrondir les angles. (…) Qu’est-ce que cela signifie si je dis : “Non, je suis compliqué et déroutant et c’est une chose que vous ne pouvez pas simplifier” ? » Cet entre-deux, Moses Sumney l’a testé version souffrance pendant une expérience qui l’a marqué en tant que personne bien plus qu’en tant que musicien : alors qu’il était âgé de 10 ans, ses parents, des pasteurs, ont décidé de quitter la Californie pour le Ghana, où la famille a vécu six ans. Le jeune homme y a expérimenté les remarques sur son accent et sa culture américaine, s’est isolé dans ce qu’il appelle « une obsession presque odieuse de la solitude ».