
Edikanfo, The Pace Setters (Glitterbeat, réédition, 2020)
On ne compte plus les rééditions qui crient au génie pour un rien ou survendent la rareté d’un disque qu’on trouve pourtant en occasion pas bien chère en trois minutes sur le site spécialisé Discogs. Il faut donc savoir naviguer dans ce monde de la relecture permanente, où tout ce qui est ancien serait forcément passionnant, pour y guetter les vraies bonnes idées. Ce mois-ci, c’est la trop discrète resortie d’un disque vraiment rare et vraiment trépidant : The Pace Setters, l’unique album d’un groupe ghanéen de la fin des années 1970, Edikanfo.
Edikanfo, c’est une grande histoire qui n’a pas eu lieu. Le groupe s’est formé en 1979 sur les cendres de Hedzoleh Soundz, une bande de requins des clubs d’Accra, la capitale du Ghana, qui accompagnaient le plus offrant. Le genre de gars capables d’enchaîner toute la nuit les classiques du highlife, ce funk en grand ensemble de l’Afrique de l’Ouest des années 1960 et 1970 (lire l’épisode 32, « Alogte Oho pirate les Caraïbes »), qui s’étaient finalement retrouvés missionnés pour accompagner le parrain sud-africain Hugh Masekela dans une tournée américaine puis en studio pour un grand disque jamais réédité. Dès son apparition, Edikanfo est donc une grosse affaire, un supergroupe, qui plus est managé par Faisal Helwani, celui qui fait la musique du moment dans le pays.
Faisal Helwani avait autant de nez que d’ambition et voulait faire de son groupe le nouveau Super Rail Band, voire carrément le nouvel Africa 70, la machine rutilante qui propulsait alors la musique de Fela Kuti au Nigéria. Les chansons étaient déjà là, bien rodées, mais il manquait à Edikanfo un peu de lumière internationale. Un gros coup de pub, si possible pas trop cher. L’idée est venue en lisant une interview du producteur britannique Brian Eno (Lire l’épisode 10, « Brian Eno et Ras G, cosmiques trips ») évoquant son envie de se frotter à la musique de Fela. Fin 1980, Brian Eno venait tout juste de signer, avec David Byrne, de Talking Heads, une relecture ambitieuse de chants islamiques et gospels américains dans My Life in the Bush of Ghosts. Pour les deux innovateurs qui cherchaient un nouveau souffle dans les musiques extra-occidentales, ce disque était une évocation d’un « quatrième monde » toute en samples et boucles pop avant-gardistes, que Brian Eno a aussi exploré dans un disque de 1979 avec Jon Hassell : Fourth World Vol.1 : Possible Musics.