Groupe RTD, The Dancing Devils of Djibouti (Ostinato Records, 2020)
«Dans la mer rouge où l’on voit des barques rouges qui louvoient Il y a un port, qui dort. À Djibouti, pendant la nuit, la lune luit sur les palmiers. Les Somalis chantent ravis des mélodies bien syncopées.»
Cette chanson signée par le chanteur Jean-Paul Vignon, qui a grandi à Djibouti avant de partir faire une carrière de voix française dans les films américains, m’est revenue à l’esprit cette semaine à l’écoute du premier album de Groupe RTD – pour « radiodiffusion-télévision de Djibouti » – tout juste sorti. Car, en faisant des recherches, on se rend vite compte que Djibouti, petit pays de la corne de l’Afrique qui a obtenu son indépendance de la France en 1977 avant de devenir la dictature d’un parti unique, n’existe quasiment pas sur la carte de la musique.
D’après le label américain Ostinato, qui a mené ces enregistrements de Groupe RTD, cet album est même le premier d’un groupe de Djibouti à connaître une diffusion internationale. Il se pourrait bien que ce soit vrai, car même Dinkara, le supergroupe des années 1980 et 1990 fondé par Abdallah Lee et dont il reste très peu de traces en ligne comme en format physique, reste à peine une note de bas de page dans la pop africaine. Les seuls disques sortis de Djibouti furent donc, au fil des décennies, des enregistrements coloniaux – au mieux ethnomusicologiques, au pire folklorisants et paternalistes. C’est Musique de Djibouti, des enregistrements de chants traditionnels des différents peuples qui formaient alors la Côte française des Somalis, réalisés par le ministère de la Culture français dans le cadre de sa «promotion de la chanson populaire et traditionnelle dans les États membres» de l’empire. Ou, avant cela, des enregistrements menés à Paris en 1931 lors de l’Exposition coloniale internationale : Chant pour faire boire les chameaux, Chant de mariage, Chant de rameurs, Chant prophétique avant le combat… Même les années 1920 et 1930, les décennies frénétiques qui ont enregistré les musiques populaires en 78 tours en allant chercher des musiciens dans des recoins toujours plus reculés, n’ont presque rien laissé de Djibouti, pourtant carrefour géographique et culturel par nature.
Pochette de l’album « The Dancing Devils of Djibouti », du groupe RTD
— Illustration DR.
La France coloniale ne l’a pas permis, ni le régime autoritaire qui a pris sa suite et a imposé un monopole sur tous les enregistrements jusque dans les années 1990.