Benjamin Biolay et Françoise Hardy, pose position

Benjamin Biolay, Grand Prix (Polydor, 2020)

C’est amusant de voir le statut de Benjamin Biolay changer au fil des années. De jeune compositeur déjà vieux auprès d’Henri Salvador, pour l’inespéré Chambre avec vue en 2000, il s’est fait chanteur passif de sa propre musique au long de disques qui se promènent entre l’encombrant et le touchant. Aujourd’hui, alors que paraît Grand Prix, neuvième album solo, Benjamin Biolay se retrouve peu à peu élevé parmi les grands de la chanson, faute de combattants plus que pour la grandeur de son œuvre. Alain Bashung et Nino Ferrer sont partis depuis longtemps, Christophe récemment, qui aurait peut-être aimé cet album qui parle de vitesse et de voitures… Alors va pour Biolay, alors qu’on aurait pu panthéoniser les rappeurs Rim’K ou Booba mais la France aime encore séparer la variété de son autre variété moins apprêtée.

Grand Prix ne changera pas la carrière de Benjamin Biolay autant que La Superbe, où il touchait à une certaine perfection dans son personnage de jeune vieux beau abusivement parisien – mélancolique prétentieux, complètement littéraire. La Superbe était la bande originale de tous les films français où on s’engueule autour d’une table avant de défoncer le frigo tard dans la nuit, et pour cela, ce disque marchait. Il s’assumait pleinement, aussi fatigant dans ses clichés qu’habilement mis en scène dans son cocon orchestral métallique. Dix ans plus tard, Grand Prix en est une sorte de double rock et jouisseur, un vrai-faux concept-album sur le monde de la vitesse à quatre roues chargé de maquiller une série de chansons d’amour pleines du spleen toujours satisfait que déploie Benjamin Biolay.

Instrumentiste surdoué et curieux, très bon faiseur de chansons pour d’autres, Benjamin Biolay n’a jamais été un interprète et encore moins un showman – quiconque l’a déjà vu se rouler par terre sur scène dans un simulacre d’emportement rock’n’roll a redéfini sa notion de ridicule. Il ne s’en cache pas, ni sa voix ni son phrasé ne le portent, et on a encore aujourd’hui l’impression d’assister au tour de chant d’un vendeur de voitures qui s’est saisi du micro parce qu’il aime ça. Il a bien le droit à cette liberté, après tout. Après neuf albums et presque vingt ans de carrière solo, il faut lui reconnaître un réel sens de la souffrance