
Bachar Mar-Khalifé, On/Off (Balcoon, 2020)
On écoute de la musique pour tomber de temps à autre sur des disques comme On/Off. Des œuvres stimulantes et enveloppantes, doubles et troublantes, remuantes et apaisantes. Des disques qui donnent envie d’en écouter d’autres, à commencer par les quatre albums précédents publiés depuis dix ans par le Franco-Libanais Bachar Mar-Khalifé, qui forment un remarquable dédale de musiques et de pensées aussi personnelles que politiques.
Bachar Mar-Khalifé est le fils de Marcel Khalifé, géant libanais de la chanson méditerranéenne dont nous avions évoqué les débuts dans cette série (lire l’épisode 24, « Issam Hajali et Marcel Khalifé, échos de guerre »). C’est important d’office parce que sa musique est un fier prolongement de ce talent d’instrumentiste (même si Bachar a préféré le piano au oud), de compositeur et de chanteur, autant qu’une modernisation précautionneuse nourrie d’électronique et de traitements aux machines. C’est aussi important pour On/Off, qui a été finalisé et enregistré dans une maison familiale perchée dans les montagnes de Jaj, un village reculé qui ouvre sur les sommets enneigés du Liban. Là, au calme, Bachar Mar-Khalifé a pu convoquer ses souvenirs, ses fantômes et son père, qui vient poser sa voix (pour une fois en français) sur le poème Prophète, entre deux coupures de courant devenues de plus en plus fréquentes et qui ont donné son nom à l’album.

Mais On/Off n’est surtout pas qu’un gimmick pour dire à quel point le Liban n’en finit pas de régresser économiquement et politiquement ces dernières années, c’est aussi un album qui utilise brillamment le grand huit des émotions et des tempos, entre le piano techno inarrêtable d’Insomnia, qui s’enroule sur lui-même comme on se retourne dans le lit pendant ces nuits sans sommeil, et les apaisements de Je t’aime à la folie ou Jnoun. Ce dernier titre, une magnifique ballade à deux claviers chantée en arabe et en français, a été enregistrée avec le défunt Christophe pour un disque publié par la radio FIP en 2018. Pendant quatre minutes et demie suspendues, la voix granuleuse et feutrée de Bachar s’y mêle si bien à celle, fluette et rêveuse, de Christophe qu’on ne peut que regretter que ce duo si fusionnel n’ait pas prolongé cette rencontre.
Tout est tendre et pesé dans On/Off, un disque qui, comme toujours chez Bachar Mar-Khalifé, est avant tout un carnet de bord de sentiments, lectures, rencontres et souvenirs, qui pioche dans ce réservoir de quoi obtenir un équilibre entre compositions et reprises très personnelles.