Anne Sylvestre, Olympia 86 (EPM, 1986)
Depuis qu’Anne Sylvestre est morte le 30 novembre à 86 ans, sur le pont et pleinement elle-même jusqu’à la fin, avec cette colère tapie derrière des chansons aux allures sages et des comptines, je m’aperçois que beaucoup de gens ont eu une enfance musicalement chanceuse. Eux écoutaient les ritournelles malignes d’Anne Sylvestre tout en roulant dans l’herbe tendre de la maison de famille de l’île de Ré, alors que moi, on me bourrait de Georges Chelon, de Leny Escudero et de Deep Purple dans la voiture trop chaude, fenêtres ouvertes sur la route du camping municipal de Saint-Jean-de-Monts. Ça forge le caractère, mais j’ai plein de regrets de ne jamais avoir entendu les Fabulettes, cette longue collection de chansons et petits airs pas cons adressés aux petits qu’Anne Sylvestre a dispersés à partir de 1962. J’aurais voulu chanter la Chanson pour être sage en auto (« Un grand camion plein de yaourts/ S’il en perdait en route/ Si tu fais boire ton auto/ J’aurai un esquimau ») ou profiter des bruitages sonores et de l’appel à jouer librement du Toboggan (« Dans le square, dans le square, y’a un toboggan maman/ (…) Nos blue-jeans, nos blue-jeans durent pas longtemps maman/ (…) Et en trombe, et en trombe on fonce dedans maman/ (…) Si on tombe, si on tombe on serre les dents maman »).
Anne Sylvestre aimait ces Fabulettes qui l’ont aussi fait vivre, et elle avait de quoi.