Black Country, New Road, For the First Time (Ninja Tune, 2021)
En 2019, un groupe de sept Britanniques au nom qui ne dit rien, qu’ils ont pêché au hasard sur Wikipédia, a débarqué avec deux chansons aventureuses autant qu’énervantes. Dans Athens, France et Sunglasses, Black Country, New Road (BCNR) jouait un rock héritier des années 1990, mêlé de saxophone free-jazz et de violon klezmer, dans des constructions encore naïves, une fanfare lycéenne prétentieuse qui n’avait pas encore appris à enlever des choses dans sa musique. Deux ans après, on retrouve enfin le septet avec un premier album, le bien nommé For the First Time, qui essaye d’être le vrai départ d’un groupe qui a failli se cramer les ailes faute de partir trop vite, trop fort.
Black Country, New Road s’est formé sur une déception violente : l’explosion, en 2018, du groupe Nervous Conditions suite à des accusations détaillées d’agressions sexuelles contre son chanteur. Sans attendre, le reste du groupe a décidé de partir de son côté pour préserver l’amitié et le travail accompli par ces musiciens originaires de la région de Cambridge depuis leur enfance ou leurs études. La musique de BCNR est ainsi la continuité directe de celle de Nervous Conditions, soit des chansons alambiquées qui vrillent selon la minute en fanfare noire sur batterie syncopée ou en rock poussé par la voix d’Isaac Wood, devenu chanteur par défaut et qui tente d’exister sans éviter, parfois, d’en faire trop dans la fragilité surjouée. Surtout, il y a dans BCNR un gros fond venu du post-rock des années 1990 et ce n’est pas pour rien que le groupe lui-même se qualifie en rigolant de « deuxième meilleur groupe de reprises de Slint ». Pilier, notamment avec son album Spiderland (1991), de ce genre diffus qui a déconstruit le virilisme sex and drugs and rock’n’roll en y injectant du jazz, des rythmiques systématiques et une certaine froideur distante, on fait pire comme parrain que Slint. Les guitares d’Athens, France, qui alternent des attaques saturées et de longs passages en ligne claire, sont typiques de cette école que l’on voit revivre de-ci de-là aujourd’hui parce qu’elle permet de mêler des ambiances opposées dans une même chanson sans perdre en énergie.
De cela, BCNR ne manque jamais. On ne s’ennuie pas un instant dans For the First Time, qui regorge de revirements soudains, d’explosions de guitares, de glissements de violon, d’ambiances changeantes comme la météo sur la côte anglaise.