
Mdou Moctar, Afrique Victime (Matador, 2021)
Tout le monde ne l’a pas forcément vu venir, mais en dix années sans artifices, avec sa seule guitare et le son incroyable qu’il en sort, le Nigérien Mdou Moctar est devenu le nouvel ambassadeur de la musique du Sahel. À la place de son compatriote Koudédé, mort en 2012 dans un accident de voiture, mais de Bombino probablement aussi, trop vite avalé par la machine rock américaine. Plus que l’ancien et trop sage Afel Bocoum (lire l’épisode 62, « Afel Bocoum et Marvin Pontiac chassent leurs fantômes ») également, même si ce dernier assure le lien essentiel avec l’époque glorieuse d’Ali Farka Touré. Naviguant à sa façon au milieu de ce beau monde, Mdou Moctar s’échappe aujourd’hui avec son cinquième album depuis 2011.
Afrique Victime est un disque suspendu entre deux continents. Désormais signé sur le label américain Matador, c’est le bassiste de Washington Mikey Coltun, qui joue depuis des années avec Mdou Moctar, qui a enregistré l’album en contournant le cadre trop strict du studio où le guitariste nigérien ne s’est jamais senti à l’aise. Capté sur la route entre deux concerts à travers le monde, lors de séances mêlant compositions et improvisations, Afrique Victime a ensuite été découpé et assemblé en une collection de chansons forcément un peu à l’étroit. Le résultat est un disque tendu qui retient sa colère, entre murs de sons carrément psychédéliques et apaisements nocturnes que Mdou Moctar maîtrise à merveille, lui qui a souvent dû naviguer entre des sentiments contradictoires depuis ses débuts. Né en 1986 dans un village du centre du Niger, il a appris la guitare seul sur un instrument fabriqué avec ce qu’il a trouvé, dans une ambiance qui rejetait largement les musiques impies. Son modèle, comme celui de beaucoup d’autres musiciens touaregs, c’était alors Abdallah Ag Oumbadougou, cofondateur avec d’autres (Tinariwen, Terakaft, Tamikrest) d’un blues-rock dit « ishumar » dans les années 1980. C’est la musique des Touaregs exilés en Algérie ou en Libye à une époque où les jeunes pays indépendants du Mali et du Niger rejetaient cette population nomade. Là, dans les camps de déplacés et dans les groupements armés, une musique s’est inventée, reprenant les constructions instrumentales cycliques jouées traditionnellement par les femmes, auxquelles se sont mêlés la guitare des héros (Jimi Hendrix et Mark Knopfler en tête) et un chant mélancolique.

Mdou Moctar, qui est gaucher et a longtemps joué sur une guitare transformée, s’est fait une place plus tard, dans des années 2000 pas plus apaisées pour les Touaregs, en apprenant à ne pas fâcher les religieux tout en abordant des sujets sociaux.