Àpeine parti, déjà arrivé. Après seulement dix-sept mois au ministère de l’Intérieur, Gérard Collomb, 71 ans, est de retour sur ses terres lyonnaises, déjà en campagne pour les élections municipales et métropolitaines de 2020. Le 2 octobre, Gérard Collomb démissionne de son poste de ministre. Le 3, il passe la main au Premier ministre Édouard Philippe qui assure l’intérim place Beauvau. Le soir même, il pose le pied sur le quai de la gare de Lyon-Perrache. Le jour d’après, il se rend au tapis rouge des commerçants dans le IIe arrondissement de Lyon, serrant la main à de jeunes mannequins. Le 7, il est place Bellecour, au départ du marathon de Lyon, auprès des coureurs pour des selfies. Le 17, il revient sous les dorures de l’hôtel de ville, le temps d’une conférence de presse improvisée. Le lendemain, il s’affiche dans un restaurant lyonnais avec la députée La République en marche (LREM) Aurore Bergé, venue pour le festival Lumière. Et dix jours plus tard, il chine aux puces du canal à Villeurbanne, « à la rencontre des habitants de la métropole », écrit-il sur son compte Twitter. Depuis son retour à Lyon, Les Jours ont essayé de suivre à la trace Gérard Collomb. Nous avons perdu. « Il est en free-lance. Je ne connais pas son agenda », nous a assuré Agnès Benoist, responsable des relations presse de la ville et de la métropole de Lyon.
Lundi 5 novembre, sauf surprise de dernière minute, le baron reprendra sa place sur le trône de la mairie de Lyon lors d’un conseil municipal extraordinaire. Une ville qu’il n’a en réalité jamais quittée. Durant ces dix-sept mois, Gérard Collomb, tout ministre de l’Intérieur qu’il était, passait presque tous les week-ends à Lyon. « Je faisais partie de ceux qui ne voulaient pas qu’il parte. Je l’ai regretté, car Gérard Collomb, c’est vraiment le patron », confie aux Jours son adjoint, l’ex-sarkozyste Richard Brumm, qui tient les finances de la ville et de la métropole. « Sans chef, une armée, même si elle a gardé de magnifiques soldats, a du mal à tenir ses lignes. »
Bienvenue en Collombie. Pays de Guignol, des traboules, de la cochonnaille et de Gérard Collomb, dit « Gégé », qui y règne en maître depuis seize ans. Entré au conseil municipal en 1977, il y a plus de quarante ans, il portait alors l’étiquette Parti socialiste et la moustache. Élu député en 1981, puis sénateur en 1999 et enfin, en 2001 et à la surprise générale, maire de Lyon – et président du Grand Lyon. L’air de rien, avec sa voix chancelante et ses blagues potaches, l’ancien prof agrégé de lettres classiques qu’on aime moquer gagne alors la troisième ville et la deuxième agglomération française. Réélu deux fois avec la manière, il ne lâchera plus son royaume. « Collomb, c’était vraiment un loser. C’est la figure romanesque du revanchard », rappelle François Médéline, romancier et ex-enseignant-chercheur à Sciences-Po Lyon. « Quand Collomb pleure pour l’élection de Macron, c’est pour lui-même. Il a été humilié toute sa vie et il devient numéro deux du gouvernement. Il tenait enfin sa revanche », analyse l’auteur de Tuer Jupiter (La manufacture de livres, 2018), qui n’hésite pas à parler avec humour de « la quenelle de Gérard Collomb » faite à Emmanuel Macron et à Édouard Philippe, sur son blog de Mediapart.
Aux yeux de Gérard Collomb, la place des Terreaux est de nouveau plus hype que la place Beauvau. « Lorsque j’interroge un certain nombre de Parisiens, ils se disent que, finalement, ils aimeraient bien venir vivre dans cette ville », crâne-t-il le 17 octobre, épris de « lyonnitude » devant la presse, dans les salons rouges de l’hôtel de ville. Lyon la bourgeoise, la belle endormie, longtemps ville froide et brumeuse, est devenue attractive. Une mue dont Gérard Collomb adore s’attribuer la paternité. Laboratoire de la Macronie avant l’heure, la Collombie repose sur un modèle économique pragmatique, savant alliage entre le public et le privé. Au fil des ans, le baron s’est entouré d’un petit groupe d’entrepreneurs talentueux et fidèles – souvent trop –, des cartels collombiens trustant les subventions et les marchés publics, mais développant considérablement la ville et la métropole. Son fameux « modèle lyonnais ».
Pendant les dix-sept années de règne de Gérard Collomb, Lyon s’est transformée. Mettant en œuvre les plans des anciens maires Raymond Barre (UDF) et Michel Noir (RPR), l’édile a mis en chantier le quartier de la Confluence, l’une des plus grosses friches de centre-ville d’Europe, devenant un laboratoire architectural et un écoquartier moderne. Il a redonné vie aux berges du Rhône et de la Saône, lieux de promenades familiales en Vélo’v et de soirées étudiantes arrosées. Il a érigé des tours dans la skyline de la Part-Dieu, bâti des ponts, continué à rénover les banlieues. Sous ses mandats, de grands événements culturels ont explosé, des Nuits sonores au festival Lumière, en passant par Quais du polar, qui attirent de plus en plus de touristes étrangers.
En 2015, la création de la métropole, bébé de Gérard Collomb et de Michel Mercier, alors président UDI du conseil général du Rhône, a parachevé les ambitions du baron. À l’instar de Barcelone, Manchester ou de Milan, ses modèles, Lyon se définit désormais en métropole européenne. En absorbant des compétences du département du Rhône, notamment le social, la collectivité territoriale devient puissante, forte d’1,4 million d’habitants et d’un budget trois fois plus élevé que celui de la ville de Lyon. Comme il n’en existe pas d’autres en France, à l’exception de Paris, qui porte aussi les compétences d’une municipalité et d’un département.
J’ai assumé ce job pendant quinze mois, monsieur le ministre, avec beaucoup de plaisir. J’aurais peut-être pu le continuer encore un peu.
Pendant presque vingt ans, Gérard Collomb a essayé de vendre ce modèle lyonnais aux instances nationales du PS. À plusieurs reprises, il a tenté d’obtenir, auprès des différents gouvernements socialistes, un ministère de poids. Souvent, il a été jugé avec condescendance, Benoît Hamon se demandant même en quoi le fait d’être lyonnais constituait un courant du PS. Jusqu’à l’apparition de l’étoile montante Emmanuel Macron, et la création d’un parti très collombien, En marche. Le baron lyonnais est l’un des premiers à y croire, et mettra à la disposition du candidat tout le carnet d’adresses de la Collombie, quelques élus et de nombreux entrepreneurs-financeurs.
En acceptant le poste de ministre de l’Intérieur en mai 2017, Gérard Collomb savait que le job serait temporaire. Qu’il n’aurait jamais le cœur à quitter Lyon définitivement. Alors il a pris ses précautions et mis ses terres en régence. Avec lui à Paris, les piliers de la Collombie devenaient les gardiens de la citadelle. Il donna alors à ses deux hommes de confiance, les « 2 K », les clés de la ville et de la métropole. Le premier, Georges Képénékian, premier adjoint à la culture, est un chirurgien lyonnais reconnu, ancien militant de la cause arménienne. Il devient maire en juillet 2017. Fidèle parmi les fidèles, caractère rond et bonhomme, il démissionne plus vite que son ombre, quelques heures après l’annonce du retour de Gérard Collomb à Lyon, dans la soirée du 2 octobre. « J’ai assumé ce job pendant quinze mois, monsieur le ministre, avec beaucoup de plaisir. J’aurais peut-être pu le continuer encore un peu », s’amuse Georges Képénékian, le 17 octobre, dans les salons de l’hôtel de ville. « Peut-être », lui répond Gérard Collomb dans un sourire. Le second, David Kimelfeld, est l’homme qui monte en Collombie. Le maire du IVe arrondissement, sur la colline de la Croix-Rousse, a été nommé président de la métropole en juillet 2017. Mais contrairement à « Képé », « Kim » a décidé de ne pas déserter son poste au retour de « Gégé », alimentant les plus folles rumeurs dans la baronnie.
Et puis il y la baronne, Caroline. Pendant l’« intérim » de son mari place Beauvau, Caroline Collomb, de trente ans sa cadette, est devenue la patronne de La République en marche dans le Rhône, sur ordre de l’Élysée. Celle qui milite laborieusement depuis vingt ans, dans l’ombre du baron, a pris du galon. À Lyon, elle a organisé la venue des pointures du parti, de Benjamin Griveaux à Cédric Villani. Souvent décriée, jugée autoritaire, on lui prête les plus grandes ambitions : d’une mairie d’arrondissement – le Ve – à la mairie centrale. Un média local, Lyon Capitale, s’est même amusé, le mois dernier, à détourner l’affiche de la féroce série américaine House of Cards avec le couple Collomb. « Vous savez, moi, je regardais “Haouz ov Cartes” », a répondu dans son anglais franchouillard Gérard Collomb à l’émission Quotidien, qui l’a interrogé sur la une de Lyon Capitale. « J’ai finalement regardé les deux premiers épisodes et après j’ai arrêté. Je me suis dit : “Ça, c’est pas vraisemblable.” »
Et pourtant. La Collombie recèle de ressorts scénaristiques dignes d’une bonne série télé. D’un Game of Thrones à la lyonnaise, avec ses personnages forts, ses trahisons et ses mises à mort. Où la trame monterait en puissance à partir de la saison 3. « Dans le premier mandat, Collomb écoutait ses adjoints. Avec le temps, ça a fondu comme neige au soleil. Surtout à partir du troisième mandat », confie un adjoint qui a été écarté. La méthode Collomb ? « Vous n’êtes plus invité nulle part. Vous êtes rayé des listings. Vous êtes tricard », explique cet ancien.
Au fil des ans, l’autoritarisme a gagné du terrain à la mairie. La grande coalition sans étiquette des débuts, qui ratissait large, de la gauche au Modem, s’est rétrécie. À Lyon, on doit être avec ou contre le roi. Plusieurs adjoints de gauche des débuts – Nathalie-Perrin Gilbert, actuellement maire divers gauche du Ier arrondissement ; Étienne Tête, aujourd’hui conseiller municipal Europe Écologie - Les Verts… – sont devenus ses premiers opposants. Les étoiles montantes Najat Vallaud-Belkacem (PS) et Thierry Braillard (PRG), devenus respectivement ministre de l’Éducation nationale et secrétaire d’État aux Sports sous François Hollande, se sont vu barrer la route aux législatives de 2017 par des candidats LREM, soutenus par un Gérard Collomb revanchard. Depuis, tous deux ont mis entre parenthèses leur carrière politique. « Lyon est un système. À la ville, toute l’administration est aux ordres. C’est Collomb qui fait et qui défait », soupire notre ancien adjoint.
Mais pour 2020, la guerre sera rude. À la droite de Dieu, le chevalier pour les municipales aura pour nom Étienne Blanc, poulain et vice-président de Laurent Wauquiez à la région Auvergne-Rhône-Alpes. Un autre candidat vient également de se déclarer, quelque part entre la droite et le centre, Pascal Blache, maire du VIe arrondissement. À sa gauche, il faudra surveiller une nouvelle fois l’écologiste Étienne Tête, mais aussi les Insoumis du Ier arrondissement. Mais la bataille commencera d’abord au sein même de l’armée collombienne. À la métropole, le prince héritier a pris son envol. Apprécié, plus souple et plus à gauche que son mentor, David Kimelfeld, encarté LREM, entend jouer un rôle de premier plan en 2020. D’autant que Gérard Collomb devra choisir entre la mairie et la métropole, loi sur le cumul des mandats oblige. Ce qui ne l’empêchera pas de placer ses proches dans les deux cas. « C’est lui qui devrait diriger les deux listes. Il choisira probablement la métropole », prédit son fidèle adjoint aux finances, Richard Brumm.
On est un certain nombre de parlementaires à penser que cela doit changer à Lyon. On ne peut pas continuer avec une centralisation du pouvoir dans les mains d’une seule personne.
Le problème pourrait venir de Caroline Collomb, qui, outre de grandes ambitions, nourrit de sérieuses inimitiés en interne. Le 15 octobre, une vingtaine de responsables locaux de La République en marche ont écrit un courrier à Christophe Castaner, alors encore à la tête du parti, déplorant de « graves dysfonctionnements locaux », et visant explicitement la patronne du mouvement dans le Rhône. Des critiques partagées en partie par plusieurs élus locaux. « On est un certain nombre de parlementaires à penser que cela doit changer à Lyon. On ne peut pas continuer avec une centralisation du pouvoir dans les mains d’une seule personne. Il faut une gestion collégiale du mouvement », lâche aux Jours Thomas Rudigoz, député LREM du Rhône, élu dans le Ve arrondissement de Lyon, la circonscription où vivent les Collomb.
La révolte pourrait être également citoyenne. Les Lyonnais pourraient se lasser du baron et de sa longévité exceptionnelle à l’hôtel de ville. Plusieurs lettres ouvertes contre son retour ont ainsi été publiées ces dernières semaines, relayées par des personnalités locales, comme Jean-Michel Daclin, le patron d’OnlyLyon, organisme chargé de faire la promotion touristique de la métropole. « Avec ce qu’il vient de faire et son âge, Collomb n’est plus l’homme fort qu’il était », analyse un député LREM qui tient à conserver l’anonymat. Certes, le trône est proche, mais les élections municipales sont encore loin.