Après avoir passé des années à me plaindre des journalistes qui écrivent au futur au lieu de décrire le présent, je cède enfin à l’ardente tentation de prédire l’avenir. Voici donc ma prophétie. À partir de ce mardi après-midi, l’Assemblée nationale examine en séance la proposition de loi anticasseurs promise par Édouard Philippe (lire l’épisode 16, « Fini les carottes, c’est le retour des bâtons ») et déjà adoptée par le Sénat. À cette occasion, vous entendrez des députés « remercier » les policiers et les gendarmes pour « le travail difficile » qu’ils effectuent « dans une situation inédite ». Certains élus prendront la peine de « condamner toutes les violences », d’autres rappelleront l’importance de « distinguer les vrais manifestants » de « ceux qui viennent pour semer le chaos ». C’est vrai, même un chaton plongeant le bout d’un coussinet dans le lavabo se mouillerait davantage : depuis le début des discussions sur le texte, ces lieux communs sont devenus des figures imposées. Si « tout le monde déteste la police » dans les manifs, au Parlement, tout le monde déteste les casseurs. Même si ce texte crée des dissensions au sein de la majorité, qui nous interdisent tout autre pronostic. Allez si, un dernier : parions que la blessure de Jérôme Rodrigues, gilet jaune proche d’Éric Drouet touché à l’œil par un projectile des forces de l’ordre samedi dernier, s’invitera dans les débats.

Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, récapitulons ensemble. Enseveli sous les gilets jaunes en ce début d’année, le gouvernement décide de soutenir une proposition de loi qu’il aurait peut-être rembarrée par temps calme. Le 22 janvier, Christophe Castaner et Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur à deux têtes, viennent défendre le texte devant la commission des lois de l’Assemblée nationale. Mitigée, la commission : La France insoumise réclame d’intégrer des mesures contre les violences policières, la droite reproche au gouvernement de vouloir « dénaturer » le texte d’origine, et y compris dans la majorité, ça râle. On se plaint des délais (trop serrés), de la qualité et de l’efficacité des mesures proposées (trop faibles), des risques de censure par le Conseil constitutionnel (trop élevés)… Ni la présidente de la commission, Yaël Braun-Pivet (La République en marche), ni la rapporteure du texte, Alice Thourot (également LREM), ne se montrent pleinement satisfaites.
Face à ce public décidément exigeant, Christophe Castaner déploie toute son énergie.