De Voreppe (Isère)
Les klaxons ne s’arrêtent jamais. Avec Jacky, on a fait le calcul à haute voix, comme pour résoudre un problème d’arithmétique à l’école. À raison d’un coup de trompe toutes les trois secondes, de 6 heures du matin à 21 heures, on en est déjà à 18 000 véhicules qui claironnent, chaque jour, leur soutien aux gilets jaunes sur le rond-point de Voreppe (Isère). « Et même la nuit, ça continue », se réjouit Jacky, 66 ans. Depuis trois semaines, il est là, de bon matin et parfois jusque tard. « Après, chacun fait comme il peut, on a tous des obligations », ajoute-t-il. Retraité de l’industrie, lui a « du temps » et semble dans son élément à quelques mètres des 38 tonnes qui barrissent en passant sur la départementale 3. C’est l’un des piliers de l’occupation de ce rond-point de campagne, situé à une quinzaine de kilomètres de Grenoble, à côté de l’entrée d’autoroute dont l’embranchement mène à Valence ou à Lyon. La six-voies court au pied du massif du Vercors, le long de l’Isère. En face, les champs s’étendent dans la plaine, ponctuée de zones d’activité et de petites agglomérations.
Casquette vissée sur la tête, parka et godillots, Jacky a personnalisé son gilet jaune. Dans le dos, il a écrit : « Macron, casse-toi, tu pues le pognon. » Dans sa poche, il garde deux grosses carottes (bios, précise-t-il) qu’il agite au passage des voitures : « Celle-ci, elle est pour toi, Manu ! » Plus loin, une petite guillotine en bois trône sur le bas-côté. À l’endroit de la lunette apparaît le visage du président de la République, affublé d’une mèche brune et d’une moustache à la Hitler. Le mot d’ordre du bastion voreppin est à l’unisson de la constellation de ronds-points occupés dans l’Hexagone : « Macron, démission ! » Quand, avec le photographe Pablo Chignard, on est arrivés sur le rond-point et qu’on a expliqué que Les Jours voulaient en être, le sexagénaire a grimacé, échaudé par les articles « des journaleux du Daubé » (le sobriquet donné au Dauphiné libéré). Et qu’est-ce qui prouvait qu’on n’était pas des flics infiltrés ? On a montré notre carte de presse, notre permis. La dernière fois que j’ai dû sortir mes papiers à des civils, c’était à Notre-Dame-des-Landes. Jacky a souri en voyant mon lieu de naissance, dans le Calvados. « On n’en a pas ici, mais on sait quand-même recevoir ! » Alors il nous a emmenés faire les présentations à la cabane plantée à quelques mètres de la D3.

Le QG des gilets jaunes a été baptisé « Paradise II » après que les gendarmes ont démonté le premier campement la semaine dernière.