Dans les rues adjacentes aux Champs-Élysées que de réguliers barrages de CRS empêchent de rejoindre, un homme vêtu d’un gilet jaune siffle Le chant des partisans. C’est joli, Le chant des partisans, et les trilles rebondissent sur les façades claquemurées depuis le rez-de-chaussée. Il siffle et siffle encore et puis d’un coup, sur le même air, l’homme entonne à pleine voix : « Macron, entends-tu arriver dans ton cul la colère ? » Bon. Tout à l’heure on avait eu droit, toujours de la part de gilets jaunes, à un autre détournement, sur l’air cette fois de la chanson de la Coupe du Monde sur Benjamin Pavard : « Enculé Macron, enculé Macron, on va tout casser chez toi. » On est samedi, on est à Paris et c’est la manifestation, « l’acte IV » tant redouté de la mobilisation des gilets jaunes. Toute la semaine, sur fond de cacophonie d’annonces, le gouvernement avait fait monter la pression, dramatisé à outrance, fait réciter des appels au calme aux députés La République en marche (LREM). La France et Paris en premier lieu allaient être livrés à des hordes sauvages, à des personnes venues « pour casser et tuer », avait même averti l’Élysée.
« La » manifestation, c’est vite dit. En même temps qu’une nouvelle forme de contestation sociale, horizontale, organisée sur Facebook, sans leader et qui a du mal à se trouver des porte-parole, les gilets jaunes ont inventé une nouvelle forme de manifestation. Ce samedi, à Paris, il n’y a jamais eu ou presque de défilés, de cortèges, mais des rassemblements ici et là, des groupes qui errent d’une rue bloquée par les forces de l’ordre à une autre dont des lacrymos les expulsent, des gilets jaunes parfois paumés dans la ville. Ainsi, en début d’après-midi, les grands boulevards sont déconfits. Ici comme ailleurs dans Paris, des accrochages entre gilets jaunes et policiers viennent d’avoir lieu et se sont terminés en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. La moitié des banques et des magasins s’étaient de toute façon barricadés derrière des panneaux de bois. Certains commerces ont opté pour une solution intermédiaire, en décorant leur pas-de-porte de plusieurs vigiles ou en continuant à faire des tresses africaines derrière un rideau de fer à moitié baissé. L’ambiance est lunaire. Un type en scooter s’arrête pour prendre en photo un container à verre renversé sur la chaussée, puis repart en roulant sur du verre pilé et des grilles d’arbre jetées au milieu de la rue.
Sur les trottoirs se croisent des Parisiens résolus à faire leurs courses de Noël, des touristes égarés et des gilets jaunes qui marchent dans les deux sens, seuls ou en couple, en groupe d’amis ou en minicortèges.