Treize minutes pour convaincre. Ou treize minutes pour survivre, soit quarante-cinq de moins que Bruce Willis dans Die Hard II, comment vouliez-vous qu’il y arrive, Emmanuel Macron ? Engoncé dans son costume, les mains à plat sur son bureau comme un geste de paix, les yeux brillants, telles des billes de verre, fixés dans l’objectif de la caméra, il a fait sa « déclaration du président de la République », rebaptisée « adresse à la Nation » sur son compte Twitter. « Nous voilà ensemble au rendez-vous de notre pays et de notre avenir », a-t-il entamé. Le « notre » doit en réalité être de majesté tant c’est bien le nom du président de la République, et le sien seul, qui est conspué depuis le début du mouvement des gilets jaunes – en même temps que sa personne promise, sur les murs, dans les slogans et les chants, aux pires sévices (lire l’épisode 7, « Manifestation à fragmentations »). Il est 20 heures à Voreppe, dans l’Isère, sur le rond-point que suivent Les Jours. Il est 20 heures au tribunal de grande instance de Paris où comparaissent les interpellés de ce samedi. Il est 20 heures pour Emmanuel Macron, mais n’est-ce pas déjà trop tard ?
20 heures à l’Élysée. En vrai, à l’Élysée, il ne doit pas se passer grand-chose puisque l’allocution du président de la République a été enregistrée mais on imagine que, dans les bureaux, on suit le discours. Et lui, se regarde-t-il, ce président qui était obsédé par l’écriture de sa propre légende jusqu’à ce qu’il se la prenne en pleine face ? La séance commence par des remontrances : « violences inadmissibles », « aucune indulgence », « désordre et anarchie ». Puis « calme et ordre républicain ». Emmanuel Macron commence en fronçant les sourcils. Ça ne durera pas.
20 heures à Voreppe. Sur le rond-point, à une quinzaine de kilomètres de Grenoble, que les gilets jaunes suivis par Les Jours occupent depuis maintenant plus de trois semaines (lire l’épisode 3, « “On est les sans-chaussettes, mais on est là, debout” »). Malgré les vagues de pluie glacée et malgré la crainte d’un nouveau démontage par les gendarmes, la cabane, baptisée « Paradise II », est toujours debout. Ils sont une vingtaine à s’y tenir, pour suivre le discours d’Emmanuel Macron sur un téléphone branché à une petite enceinte.
20 heures au tribunal de grande instance de Paris. On suit vaguement l’allocution présidentielle dans un couloir blanc presque désert, grâce à un élève-avocat muni d’un téléphone, en attendant de connaître le sort de Gaétan M., 21 ans.